Écrivain français (ne en 1962) auteur de thrillers très remarquables

Un nouveau héros : Nathan Love

À l'occasion de la publication du Dernier testament, rencontre avec LE nouveau maître du thriller français, Philip Le Roy

— L'aventure et la mystique sont très présentes dans votre roman comme des éléments essentiels en soi. Dans quel genre placez-vous votre roman ?

Philip Le Roy : Lorsque j'écris, mon objectif principal est de donner des sensations fortes au lecteur et de le pousser à tourner les pages. Je veux qu'il prenne son pied et qu'il consomme mon livre comme il consomme un film. Et s'il lui en reste quelque chose, si sa vison des choses en sort élargie, alors c'est la cerise sur le gâteau. Vous l'avez compris, le genre que j'affectionne est le thriller. Si j'osais,  j'ajouterais: le thriller métaphysique. C'est ainsi que j'ai conçu Le Dernier Testament, avec un montage serré, de l'ultra violence, de l'humanité, de l'humour, de l'émotion, du sexe, du sens, de la philosophie inspirée des grands maîtres japonais, de la sagesse enseignée par les indiens navajos, du bushido, des combats fulgurants, de la musique rock, une narration riche en péripéties, des chapitres courts, des descriptions dépouillées, des dialogues prépondérants.

— Contrairement au Da Vinci Code, le mysticisme dans votre roman n'est pas un leurre, vous semblez même accorder une place aussi importante aux questions philosophiques qu'à l'intrigue. Quelle est la part de l'un et de l'autre ?

Philip Le Roy : Bâtir un roman sur un leurre, un McGuffin comme dirait Hitchcock, ne me satisfait pas. Je ne vais pas investir deux ans de ma vie sur du vent, et encore moins demander au lecteur d'y consacrer un paquet d'heures. "A quoi riment tous ces efforts? Est-ce que l'enjeu en vaut la peine?" sont des questions que je me pose souvent en cours d'écriture. Il faut que l'aventure dans laquelle je m'embarque m'ouvre les yeux sur le monde et sur la condition humaine. Depuis vingt ans, je m'interrogeais sur ce que pouvaient cacher les caves du Vatican ainsi que sur les conditions de la mort du Christ. Là, l'enjeu est de taille, car il touche l'humanité entière. La philosophie, la mystique, l'aventure, l'investigation, l'intrigue se trouvent ainsi étroitement imbriquées. 

— Les choix de Nathan Love, à la fin du roman, quand le mystère est dévoilé, sont assez difficiles à comprendre : est-ce de la démission ?

Philip Le Roy : Nathan Love n'est pas un héros ordinaire. Son comportement est donc différent de celui auquel on s'attend de la part d'un enquêteur de polar. Love ne veut pas sauver la planète et encore moins faire justice. Il vit en marge d'un monde qu'il considère comme une somme d'illusions, même s'il en apprécie certains paramètres (l'amour de Carla en particulier). Au départ, ses motivations pour se lancer dans l'aventure sont claires: le FBI lui force un peu la main et il souhaite mettre la main sur les assassins de son meilleur ami.  Mais pénétré du zen qui révèle le vide en toute chose, Nathan prend conscience de la futilité d'une action vindicative. Les circonstances et les individus qu'il va croiser sur son chemin vont lui fournir alors d'autres raisons de poursuivre ses investigations. Et même lorsque l'horreur de ce qu'il découvre lui fera momentanément abandonner l'enquête, le FBI et les personnes qu'il côtoie s'ingénieront à lui fournir des raisons de reprendre du service.

Le deuxième point important est l'objectif que se fixe Nathan Love. Celui-ci est conscient qu'il est payé pour découvrir la vérité. Or, le Shodoka préconise: "Il ne faut ni courir après la Vérité ni s'en échapper". C'est la voie du juste milieu. Ne pas être trop intime avec les personnes, ne pas être trop distant. Poussé par les évènements, Nathan finira malgré tout par s'approcher trop près de cette Vérité. Il entrera au cœur du système qui fait tourner le monde. Face au gardien de ce "centre nerveux", il prendra conscience qu'il s'est trop avancé. Il doit lâcher prise. D'une part l'ennemi est plus fort que lui. D'autre part, on ne peut aider ses semblables que lorsqu'ils en manifestent le souhait. Love n'a pas l'ego de Jésus pour accepter de se sacrifier pour une humanité qui ne lui a rien demandé.

Dernier point, Nathan Love se garde de porter des jugements de valeur (au lecteur de se faire son opinion). Il ne définit pas ce qui est bien ou ce qui est le mal, car cela débouche toujours sur l'intolérance, l'extrémisme, le refus de ce qui est. D'ailleurs, l'ironie du sort fait que sa décision de pactiser avec l'ennemi lui permettra de sauver deux personnes qui lui sont proches.

— Quels types de recherches avez-vous menées pour le fond du roman, l'actualité pure ou recherche de fond ? Les détails, notamment pour l'histoire du culte, sont assez précis.

Philip Le Roy : Je me suis basé uniquement sur les faits, sur l'état actuel des recherches scientifiques et historiques pour résoudre l'une des plus formidables énigmes de l'histoire. J'ai puisé dans mes archives, sur le Net, dans ma mémoire, dans mon expérience, dans les bibliothèques, relu les Évangiles, je me suis documenté sur le Vatican, j'ai interrogé des experts, j'ai pratiqué le zen et les arts martiaux. J'ai mené mon enquête avant de refiler le dossier au FBI et à mon personnage principal qui tentera de dénouer les causes qui obscurcissent la vérité, celle qui se cache sous la gigantesque fumisterie bernant l'humanité depuis des siècles. Peu à peu, j'ai échafaudé une thèse plausible, crédible, irréfutable, comme pour n'importe quelle enquête criminelle.   

— Votre personnage principal, Nathan Love, est un peu un super héros indestructible. Vous ne l'avez pas un peu trop doté ?

Philip Le Roy : Doté, non. Dopé, oui. Nathan Love pratique le zen et les arts martiaux depuis très longtemps. À cela, il faut ajouter les trois années d'ascèse qui ont suivi le décès de sa femme. Cette purification lui a permis de retrouver les dons dont nous héritons à la naissance mais qui sont vite étouffés par un environnement pollué, un système éducatif inadapté, une culture matérialiste… Nathan pratique le bushido, c'est à dire la voie du guerrier. Il applique les principes de la Voie de la Tactique propre aux samouraïs qui permet entre autres de trouver le rythme juste, d'anticiper l'intention de l'ennemi et l'issue du combat (nous appelons ça "sixième sens" en Occident), d'affronter plusieurs adversaires à la fois, de les dominer physiquement et psychologiquement dans l'espace et le temps, d'ôter chez eux de désir de combattre, de parvenir à la victoire par n'importe quel moyen. C'est un enseignement qui n'est pas livresque et qui ne peut être transmis que de maître à élève. Pour un Occidental, les performances des grands maîtres sont difficilement concevables. Elles correspondent néanmoins à une réalité indéniable que j'essaye de retranscrire dans ce roman. Sans toutefois trahir les secrets de ces grands maîtres, ni entrer dans des explications qui freineraient le rythme de la lecture. La connaissance n'est pas la voie, c'est la pratique qui compte.

Cependant, Nathan est loin d'être un super héros. D'abord parce qu'il ne sauve pas le monde. Ensuite parce qu'il est faillible: il passe des heures dans un appartement avant de réaliser qu'il y a un cadavre dans la cuisine, il se fourvoie plusieurs fois, il est manipulé, il se fait surprendre par un tueur, il trouve plus fort que lui, etc…

— En effet, pour ceux qui n'y connaissent rien, les pratiques ascétiques et philosophiques de Nathan Love semblent en faire un surhomme. Quelle est la part de réel, puisque vous pratiquez ?

Philip Le Roy : J'ai voulu le personnage à l'image de l'intrigue : surprenant, extraordinaire, vraisemblable. Des personnes qui possèdent les facultés de Nathan existent. Elles ne passent jamais à la télé et vivent retirés dans les montagnes. Personnellement je pratique, mais une vie entière ne me suffira pas pour égaler les grands maîtres. 

 — Quelles ont été vos influences ou modèles pour ce roman? Je pense à Fargo, à Dragon Rouge et, pour la construction, à Ellroy. J'ai tout faux ?

Philip Le Roy : Les influences sont inconscientes et bien évidemment cinématographiques. Je viens d'évoquer les nombreuses années de pratique de Nathan Love. En ce qui me concerne, j'atteste une pratique assidue des salles obscures. Tous les films que j'ai vus, bons ou mauvais, ont laissé des traces et m'ont inculqué les techniques pour manipuler, emballer, tenir en haleine, donner des frissons, rédiger des dialogues, construire une intrigue, proposer une vision du monde. Cher Loïc, vous n'avez donc pas tout faux et les références que vous citez sont en bonne place dans ma bibliothèque ou dans ma vidéothèque. 

 

Propos recueillis par Loïc Di Stefano
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