Nadine Agostini : incendie en boîte crânienne

A première « vue » (de l’esprit)  Nadine Agostini tente l’impossible : un entretien infini et morceaux avec une destinatrice étrange. L’auteure la définit ainsi : « tu ne peux savoir comment je pense tant que tu n’as pas dans la tête ce qu’il y a dans la mienne ». Le rêve semble donc fou, démesuré. Il n’empêche que certaines cendres "refleurissent" à la rencontre de ce «  tu » qui se définit non par ce qu’il est mais par ce qu’il n’est pas : « tu n’as pas été anorexique », tu n’as pas eu peur d’être boulimique ».  Très vite pourtant le rêve se transforme en cauchemar : le « tu » dont il est question n’est pas un autre mais le double du je. S’instruit donc un double jeu où l’humour - pris d’abord pour léger - prend une gravité rare : celle  d’une crise permanente et d’un  doute transmuée en apparente plaisanterie d’usage.

 

Le tragique de l’existence ne se livre que par la dérision  et l’éclat de rire salvateur. Il est vrai que Nadine Agostini le cultive. Née en 1960 -  à ce qu’il paraît et si on la croit - elle  consulte chaque année les magazines de consommateurs qui testent les produits antirides pour en faire bon usage. Et la poétesse d’ajouter selon un écart qui la fait passer non du je au tu mais au il : « Son père n’était pas Arsène Lupin. Sa mère n’était pas Marilyn Monroe. En conséquence, Nadine Agostini n’est pas Rita Hayworth. Le premier jour du mois, elle mange des lentilles ». Sa vraie vie est donc un roman qu’elle décline par antiphrases grâce à « Dans ma tête » et selon l’injonction de la phrase (de Henry James) qu’elle affectionne : "Il est temps de vivre la vie que tu t'es imaginée."

 

Nadine Agostini demeure la funambule perchée sur le verbe. Elle le met en chaleur par un rire souverain et de sacrés coups de reins. L’ironie du sort en surgit plus vivante qu’hier et bien moins que demain.  Son livre la dédouble en miroir d'un même gouffre. « Je » y emprunte un chemin d'effraction, d’abandon qui arrache à la fixation de l’autofiction classique. Elle n’en devient que plus classieuse et rebelle. La femme n’y possède plus rien qu’elle  : elle a ce qu’elle est et se retrouve en une poésie faite de tensions. Celle d’une antipodiste oh combien séduisante dans ses jeux de cirque et ses circonvolutions phrastiques.


Jean-Paul Gavard-Perret


Nadine Agostini, "Dans ma tête", Editions Dernier Télégramme, 48 pages, 9 Euros, 2015

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