Gertrud Stein : colline de personne

La colline de personne de Gertrud Stein possède une forme, une couleur et un contour. Mais est-ce vraiment une colline ? N'est-ce pas plutôt une "descente de lit rose tendre" ? 
Et dans ses textes tout est du même acabit  : à savoir en  contradiction dans un langage en trompe-l’œil. Car ce qui se visionne en une telle écriture est de l'ordre de l'anaphore hors de ses gonds.

Exit les choses vues lorsqu'elles passent par l'aiguille d'un tel dire. Gertrude Stein le disait elle-même : "Je tente de rappeler comment les choses apparaissent, notamment à l’œil d’un peintre". Le réalisme verbal n'est plus de mise là où, et paradoxalement, il faut prendre le langage à la lettre. Il fouille et dépareille, déconstruit afin que se crée une vision dont le surréalisme classique est lui-même une pâle copie.

La poétesse ne s'amuse pas. Car faire jouer le langage n'a rien pour elle d'une mascarade. Comme l'écrit Isabelle Alfandary dans sa postface «La phrase s’auto-engendre s’auto-fertilise de la manière la plus singulière et la plus efficace qui soit". Le tout par associations sonores et allitératives dont l'ensemble est difficilement traduisible. Néanmoins Jacques Demarcq, le traducteur, réussit  transfuges et transpositions par différents subterfuges.

Sans protection Gertrud Stein  pratique les sauts et les écarts là où la syntaxe dérape. Mais l'auteure recolle les morceaux de façon sinon aléatoire du moins tordue. Pour en parler inutile d'en faire des tonnes : on passerait à côté du propos car on arriverait jamais à la ceinture et les tendres boutons mis de bric et de broc de l'Américaine.
Pour elle il ne s'agit pas seulement de chatouiller le langage mais de chambouler le monde que  d'autres écrivains plus primesautiers montent en épingle. Iconoclaste, formaliste, expérimentatrice l'auteure ne retourne pas des vestes du logos : elle les met en charpie.

Jean-Paul  Gavard-Perret

Gertrud Stein, Tendres boutons, traduit de l’anglo-américain par Jacques Demarcq, postface d’Isabelle Alfandary, éditions Nous, janvier 2005, 128 p.-, 14 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.