Alain Crozier : voyage au bout de la nuit

Certains voyages ressemblent à des dérives. Pas besoin pourtant d'envisager le tour du monde. Celui autour de la femme suffit. D'autant que l'auteur avance vers elle(s) tous feux éteints. Cela en refroidirait plus d'un mais "plus la nuit est longue / Plus le conseil est sage". Reste à savoir lequel. Et que peut-il donner face à l'amour et son "océan" ? C'est une "zone / trouble" où l'on ne peut que se perdre.

Crozier pourtant reste dans sa vague. Faut-il conclure à une tendance masochiste chez le poète ? Probable. Ou presque. D'autant que sa "reine" se fait attendre. A moins que d'une certaine façon il en retarde la venue cragnant qu'un tel aller soit sans retour.
Les protagonistes semblent pourtant prêts. Mais le chemin que trace l'auteur est celui celui du doute et de l'incertitude. D'autant qu'il  souffle le chaud et le froid. Parfois il est prêt à se donner tout à elle, parfois moins. Bref ça fluctue . Dès lors, buttant contre la réalité, il faut préférer le rêve qu'inspire "l'étoile" filée et filante dont il convient même  parfois de "chasser le fantôme".

Tout demeure en une certaine fluctuation. Il ne s'agit pas forcément d'en sortir. Car si "les jours sans M / Passent au plus vite" , si "Le temps s'arrête / Lorsque je suis contre elle" il est difficile de trouver le meilleur tempo. D'autant que face au trop brûlant la plus grande panique s'installe.
Il est vrai que la femme est plus multiple qu'une. L'auteur est en conséquence  entre de beaux draps. Du moins si l'on peut dire... Reste à savoir ce qui se passera demain. Ou pas. Et qu'elle sera la "bonne" parmi les éprises. Bien sûr tout est chimie et alchimie mais avec tous ses flacons, l'auteur a du mal de savoir dans lequel l'ivresse est insubmersible.
Preuve que le "moi" peut devenir la figure d'un cauchemar infini à force de caresser le rêve ou le réduire à une réalité unique. Tout compte fait - et si nouss lisons bien Crozier - la solitiude devient l'amputation salvatrice. Certes l'auteur ne le dit pas si clairement mais il paraît bon de s'éloigner du fruit attendu, espéré : ce n'est pas lui que l'on presse : il écrase.

Aimer reste donc un problème. "L'étoile" - quelle qu'elle soit - demeure l'inaccessible qui s'abandonne, la case laissée  vacante voire le nid amer des espoirs orphelins ou montés en sautoir avec en prime une dose de remords.
D'où ce retour à la nuit marine : l'adjectif peut se comprendre   comme un prénom féminin, un lieu aquatique ou une forme active du verbe mariner. Mais qu'importe : il faut préférer le nocturne car le soleil blesse sans qu'il soit pour autant aveugle et cruel.

Choisir un amour serait ne plus attendre dans un couloir mais s'accrocher à un astre unique dans l'ensemble de l'horizon possible. Si le "je" y était une fois il risquerait de s'y fixer ce qui ficherait tout par terre même si dès lors l'amour n'aurait pas besoin de cartes stellaires - fussent-elles du tendre.
Preuve que l'abîme tend les bras à celui qui sans le savoir est un bédouin avide de désert . Une seule femme ne pourrait épuiser sa soif. C'est du moins ce qu'il croit au nom de sa peur. Elle crée à la fois l'angoisse de la faim et le risque que le désir ne la traverse plus.

Jean-Paul Gavard-Perret

Alain Crozier, Nuit marine, coll. Poésie XXI, Jacques André éditeur, Lyon, mars 2019, 86 p., 12€

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