Marine Gross : lumière noire et ombre claire des mots

Marine Gross tente de ratisser ce que les mots "font" et fondent. C'est un long périple et une multiplication des hypothèses. La poétesse les cherche selon diverses postulations : capturés, scellés, à peine audibles, plantés devant la glace, prêts à jouer et en bien d'autres positions.

Si bien qu'ils deviennent plastiques au sein de leurs articulations, leurs débords, leur béance goudronnée, au milieu des cailloux ou "retirés du fonds de la gorge". Aucune exagération pourtant dans cette cartographie nonimale ou nominaliste.
Et pas plus d'incurie.

L'auteure propose la phénoménologie des mots qu'elle n’enferme pas dans une simple subjectivité mais ne replie pas plus sur un discours théorique.

Elle concilie une expression irrationnelle, intuitive tout en refusant que les mots échappent à l’analyse. Existe là une forme d'actionnisme poétique. Surgissent le moyen de faire réagir la lectrice, le lecteur et de leur poser un nombre considérable de questions face aux vocables dans leur tentative d'appréhender les réels.
Pour autant – et c'est le plus surprenant et fort – Marine Gross évite la rhétorique. Elle dévoile les mots, mesure ce qu'ils font – ou pas. Peut en effet exister chez eux le jour dans la nuit, la nuit dans le jour.
La simplicité de la structure duale (dans chaque page deux textes se font écho) procède de la matérialité la plus diaphane. Elle induit une dramaturgie ouverte à l’appréhension de l'inconnu que suggère le mot.

Et ce dans une "contemplation" qui n’a rien de mystique. Être mystique c’est se laisser dévorer vivant par les mots pour ne plus tomber nez à nez avec leur jadis, leur naguère, leur parallèlement comme avec le réel. D'une certaine manière Marine Gross les veut en rien cisterciens mais terrestres.
Mais l'auteure rappelle que – quelle que soit leur nature – ils demeurent des signes dans l'espace-temps. Il est possible d'y pêcher des directions mais sans jamais oublier ce qu'ils ne peuvent émettre ou donner pas au sein de leurs promesses. Tout le reste est littérature...
 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Marine Gross, Détachant la pénombre, éditions Tarmac, Nancy, septembre 2020, 60 p.-, 12 euros

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