"La peste à Breslau", Allemagne, vingt ans avant l'apocalypse

La peste à Breslau s’inscrit dans un double mouvement, de la part des éditeurs et des lecteurs, de découverte d’auteurs autres qu’américains ou français, même si le roman noir et le polar furent d’abord l’apanage de ces derniers. Après la vague du polar scandinave - citons Jo Nesbo et Henning Mankell comme représentants du genre -, après l’Italie, la Russie, voici le tour d’un auteur polonais, Marek Krajewski, de passer sous les projecteurs de la critique.

 

Un flic amoureux des prostituées

 

1923, la Ruhr est occupée par les troupes franco-polonaises et le mark s’effondre. Pendant ce temps, à Breslau, Eberhard Mock, sergent de police affecté à la brigade mondaine, se réveille après une nuit de cuite complètement nu dans un bois. Arrêté, puis reconnu par ses collègues, il enfile un autre uniforme et va retrouver une de ses prostituées préférées. C’est là qu’un envoyé du commissaire Mülhaus, patron de la brigade criminelle de Breslau, le dérange en plein coït pour l’emmener identifier deux filles de joie qui viennent d’être assassinées. En bon flic détestant les meurtres de femmes faciles, Mock se jure de retrouver l’assassin mais ne sait pas encore dans quel engrenage il vient de mettre le doigt et quel groupe de tueurs fous il va affronter…

 

Recréer l’Allemagne de Weimar

 

La peste à Breslau est un roman touffu s’inscrivant dans un cycle consacré au personnage du policier Eberhard  Mock. Ce dernier, balloté par les évènements, ne contrôle rien, comme tout bon flic de polar. Marek Krajewski a à cœur de recréer un monde disparu, celui de la république de Weimar et aussi d’une ville allemande qui a disparu - Breslau est devenue polonaise et a été vidée de sa population allemande suite aux accords de Yalta et à la fixation de la frontière germano-polonaise sur la ligne Oder-Neisse. Il restitue parfaitement l’atmosphère « complotiste », à travers la société des Misanthropes présente dans ce livre. Weimar était un régime mal né, à la légitimité chancelante, cible de complots d’extrême-droite (le putsch raté d’Hitler en 1923) comme d’extrême-gauche - l’auteur fait directement allusion à un complot raté à Hambourg.

 

Des références, en veux-tu en voilà !

 

Le complot est un thème qui fut également exploré par le cinéma allemand : le cycle des Mabuse et Die Spione (les espions) par Fritz Lang en sont les exemples les plus frappants. On y voit clairement la volonté de l’auteur d’enraciner son roman dans le contexte culturel et politique de la république de Weimar. Enfin, à travers son titre, ce roman ne fait-il pas aussi référence à la Peste de Camus ? La société des Misanthropes n’est-elle pas une préfiguration des nazis, qu’on retrouve symbolisés par les rats et la peste qui sévissent dans le roman de Camus ?

 

Un tel parrainage pourrait écraser ce roman. Or, après un début décousu et chaotique - le personnage boit beaucoup : est-ce la raison ? -, l’histoire finit par emporter l’adhésion du critique, heureux de retrouver un contexte qui lui rappelle les films allemands du grand Fritz. En outre, on devine chez l’auteur l’ambition de pousser son cycle jusqu’à l’avènement du IIIe Reich, voire au-delà. Pour comprendre le succès du nazisme ? Et Mock, deviendra-t-il un nazi fanatique ? Ce polar polonais, pétri de culture allemande, a fini par donner l’eau à la bouche : il donne envie de lire la suite.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Marek Krajewski, La peste à Breslau, traduit du polonais par Margot Carlier et Maryla Laurent, octobre 2012, 304 pages, 6,95 €

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