"Les oubliés de la lande" de Fabienne Juhel - la Camarde passe

Les oubliés de la lande vivent dans ce que eux-mêmes ont nommé « le no death land », un village oublié des hommes qui ne figure sur aucune carte, un village que même la mort semble avoir oublié. Tous les membres de cette petite communauté ont ressenti un jour le besoin de se rendre dans ce village, certains pour fuir la mort, la maladie, d’autres pour des motifs moins avouables. La vie s’y organise, hors du temps, sous la houlette du maire du village, Jason. Chacun à sa tâche, son rôle même le petit Tom, l’enfant qui ne grandira jamais. Mais cet équilibre est bouleversé où, le jour du solstice d’été, Tom découvre le cadavre d’un vieil homme aux grilles du village. La mort vient d’entrer dans le village et confronte la communauté à un phénomène qu’elle avait oublié. Que faire de ce cadavre quand tous ont oublié les rituels funéraires ? Afin de ne pas attirer l’attention de la Faucheuse, ou de la Camarde, il faut éloigner rapidement le corps du village et l’enterrer là où il ne sera pas retrouvé par d’autres. Pour cela, l’un des villageois est tiré au sort, un tirage lourd de conséquence puisque ce volontaire va prendre le risque de perdre son immunité, d’être rattrapé par l’âge ou pire la mort. L’atmosphère est d’autant plus lourde que Tom, depuis quelques jours, a fait d’autres découvertes sinistres: une grenouille, puis un campagnol disséqués et cloués sur une croix, portant chacun, le nom d’un habitant. Un meurtrier rôde parmi eux, un meurtrier qui a réintroduit la mort dans la communauté.

 

C’est avec beaucoup de poésie que Fabienne Juhel nous emmène dans ce lieu oublié de tous qui semble lui avoir été inspiré par une histoire que son père lui avait raconté, celle d’une visite qu’il avait rendue avec un ami à un homme retirer dans une cabane, loin de tout, là où, d’après son ami, même la mort ne pourrait pas le trouver, hors du temps. C’est d’ailleurs l’impression que nous laisse la lecture de ce roman, que le temps s’arrête tout comme dans ce village que l’on ne peut situer ni replacer à une époque précise. Ni passé, ni présent ni futur. A cela se mêle un brin de fantastique avec l’unique chapitre qui n’est pas consacré à l’un des membres de la communauté, la Camarde, la Faucheuse qui nous livre ses réflexions sur les hommes et la nature humaine.

 

Mais Les Oubliés de la lande est également une sorte de polar, l’enquête de Tom et Basile qui entraîne le lecteur sur la trace du tueur de campagnol et de grenouille. Bien que l’on devine l’identité du tueur assez tôt, ses motivations ne sont dévoilées qu’au fur et à mesure. Bien qu’intrigante, l’enquête n’en reste pas moins assez simpliste sans que l’on puisse aller beaucoup plus loin sans tout révéler. Beaucoup plus intéressant se révèle être l’appréhension de la mort par les différents protagonistes. Tous, hormis Tom, en ont peur pour des raisons variables : certains parce qu’ils sont malades, d’autres parce que la vieillesse les gagne, d’autres encore parce qu’ils l’ont donnée. Tous la perçoivent comme une échéance, la fin de tout ce qui engendre leur peur et explique leur ténacité à préserver le no death land  et à rester figer dans l’espace et le temps. Mais on ne peut échapper à la mort, celle-ci offre juste un sursis et pour évacuer cette peur, il faut accepter de lâcher prise. Et accepter de vivre également. C’est ce que les personnages vont peu à peu comprendre et accepter.

 

Bien que la mort soit un thème majeur, Fabienne Juhel n’est pas sans y ajouter un brin d’humour grâce au personnage de Tom qui découvre aussi les choses de la vie.  Ainsi lorsqu’il surprend Emma, sa mère adoptive, nue dans la salle de bain, il se noie dans la contemplation de « cette paire de fesses, la plus belle image de sa journée » et qui lui laisse « une folle envie de crème fouettée, de chantilly et de choux à la crème. » Il s’en suit une comparaison des différentes fesses de la communauté.

 

C’est donc avec une poésie oscillant entre gravité et légèreté que Fabienne Juhel nous emmène à la suite des oubliés de la lande et offre une belle réflexion sur le sens de la vie.

 

Julie Lecanu

 

Fabienne Juhel, Les Oubliés de la lande,  édition du Rouergue, "La Brune", août 2012, 283 pages, 21,00 euros

3 commentaires

un semblant de ressemblance ou d'inspiration du film de Night Shyamalan Le Village ?

Non, il y a certes le mot village dans le titre, mais cela n'a rien à voir avec le film. C'est juste une fable sur l'une de mes obsessions...

d'accord, les univers me semblaient proches, la réclusion volontaire d'une communauté, l'intrusion qui fait éclater les faux-semblants