Notes de l’atelier d’écriture avec Lyonel Trouillot, écrivain haïtien : "On n’écrit pas avec soi-même. L’écrivain solitaire est un mythe"


A l’occasion du "Festival America" - littératures et cultures d’Amérique du nord - qui se déroule à Vincennes du 20 au 23 septembre 2012, j’ai assisté à un atelier d’écriture animé par l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot, la "figure incontournable de la littérature francophone".

 

Chaque écrivain détient ses propres techniques d’écriture et il est toujours passionnant d’en découvrir des nouvelles. J’aimerais donc partager avec vous mes notes prises lors de cet atelier en espérant qu’elles susciteront diverses réactions, approbations ou rejets, venant d’autres écrivains. Le débat est lancé ! Une chose est sûre, Lyonel Trouillot a un avis bien tranché sur les questions qui taraudent bon nombre d’auteurs (ou futurs auteurs !).

 

L’introduction à l’atelier commence par une citation de Pétrarque : "Celui qui peut dire de quel feu il brûle, ne brûle que d'un petit feu." Le ton est donné !

Si Lyonel Trouillot pense que la vanité ne va pas de pair avec la littérature, il affirme également qu’un écrivain n’a jamais fini d’explorer toutes les facettes de son être et donc de ses éventuelles créations. Le discours de l’auteur haïtien se poursuit avec l’idée qu’il ne faut jamais (il le répètera à plusieurs reprises durant l’atelier) "empêcher un texte qui veut sortir de s’écrire". Peu importe le moment (opportun ou non), si l’inspiration pointe le bout de son nez, il faut se jeter corps et âmes sur des papiers et stylos et écrire, écrire, écrire. Pourquoi ? Parce que l’idée en germe disparaitra et ne pourra plus être retrouvée. L'auteur n’en goûtera donc jamais sa saveur. En revanche, "l’écriture ne s’écrit pas avec un marteau" et il faut respecter le fait que, parfois, le texte et/ou son auteur ne sont pas prêts. Il est préférable, dans ces cas-là, de laisser reposer une idée, de la laisser mûrir. Et quand elle aura atteint maturité et qu’elle commencera à titiller son auteur, il vaut mieux qu’il l’écrive tout de suite !

"On ne peut pas violer un texte. S’il ne veut pas venir, il ne vient pas."

 

Selon Lyonel, un texte ne se suffit pas à lui-même. Ce n’est pas parce qu’un auteur l’a écrit qu’il présente un intérêt et, surtout, il ne devient un texte littéraire qu’au moment où un dialogue s’installe avec un lecteur.

L’expérience de Lyonel en matière d’animation d’ateliers d’écriture lui a montré que de nombreux auteurs expriment un besoin d’écrire, un soulagement procuré par l’écriture, mais que leurs textes ne sortent pas du cadre de leur propre intimité. Cette matière, à ce stade, peut difficilement devenir un texte littéraire. Pour cela, il faut dépasser l’intime, aborder, au-delà de sa propre histoire, des thèmes universels qui peuvent toucher les lecteurs. Il s’agit de transformer l’élan premier en un texte littéraire. De se distancier.

L’écrivain ne creuse pas qu’en lui-même mais utilise la vie des autres comme matière à écrire. Il se constitue une base de données. "L’écrivain est un prédateur." Il capte tout et le rend sous une autre forme. Il bricole. Il nourrit son texte d’éléments de vie. S’il ne capte pas la vie, son texte restera pauvre. "Ce n’est pas avec soi-même qu’on écrit." L’écrivain s’approprie les expériences humaines et les retranscrit à sa sauce.

"La littérature parle toujours d’elle-même mais pour parler d’elle-même, elle parle toujours d’autre chose." C’est cet équilibre que cherche l’écrivain. Pour Lyonel Trouillot, "le texte est un jeu formel avec une dimension humaine". 

 

L’écrivain est au service du texte. Lyonel se permet de dire, en s’excusant d’avance, que c’est le texte qui l’importe et non l’écrivain (dont, finalement, on se fiche). Mais si l’écrivain est au service du texte, que nécessite-t-il pour être amené à ce texte ?

 

"L’écrivain solitaire est un mythe." Pour Lyonel, un texte est écrit dans le but de poser un nouveau regard dessus. Il nous dit d’ailleurs qu’il faut toujours relire un texte d’un autre point de vue, c’est-à-dire différent de l’état intérieur dans lequel on l’a écrit. Il nous dévoile avoir constitué un groupe d’une dizaine de lecteurs qu’il réunit, une fois son manuscrit terminé. Commence alors une longue nuit de débats, d’échanges autour de son texte. Libre à lui, bien sûr, de tenir compte ou non des diverses remarques de ses lecteurs.


Si, pour lui, le poème peut jouir d’une écriture plus spontanée, le roman nécessite une structure et est le résultat d'un véritable bricolage. Chaque écrivain confectionne bien sûr sa propre recette : Lyonel Trouillot conçoit d’abord l’objet mentalement, le visualise, puis, lorsque le texte est mûr, il écrit la première et la dernière phrase avant de se plonger dans un temps d’écriture très court (1 à 2 mois par roman) et d’écrire l’ensemble de l’œuvre d’une traite. Il lui arrive alors de s’enfermer pour travailler jours et nuits. "J’écris mon roman comme vous le lisez, dans l’ordre chronologique. Cela ne me viendrait pas à l’esprit d’écrire d’abord le chapitre trois puis de revenir au premier." Cependant, le texte peut le surprendre et les intrigues préconçues sont susceptibles d’évoluer au fil de l’écriture. "Parfois le texte l’emporte sur l’intention première de l’auteur."

 

Un écrivain doit connaître ses limites et savoir quand s’arrêter. Mais, vu qu’il ne peut pas avoir toutes les qualités, il est important qu'il puisse faire appel à d'autres personnes s’il bloque sur quelque chose. Comme énoncé plus haut, la vanité n’a pas sa place dans la littérature.

Il est également important de déceler son "tempérament d’écrivain" et les conditions dans lesquelles on aime écrire : isolé, à la terrasse d’un café, la nuit…

 

L’écrivain doit accepter de perdre des données. Il ne pourra jamais tout exprimer dans son livre et même s’il le faisait, tout ne sera pas entièrement reçu par les lecteurs. Il arrive même que son propos soit incompris ou détourné. De sa pensée au papier aux mains du lecteur, son texte subira donc, inévitablement, des pertes. Il est important d’accepter que "l’objet fini" ne fasse plus partie de lui. Les réactions des lecteurs peuvent être inattendues. Il existera toujours quelqu’un pour questionner ce qu’il a écrit. Son texte ne lui appartient plus.

 

A la question "Qu’est-ce qu’un grand écrivain ?", l’auteur haïtien répond : "C’est quelqu’un qui a trouvé son propre langage et qui, par ce biais, invite au dialogue. C’est quelqu’un qui force son genre à se poser des questions sur ses propres limites. Les grands romans sont ceux qui débordent." Il citera Proust, Joyce, Garcia Marquez, entre autres.

 

Et à la question "Comment faire lorsqu’on a l’impression de tourner en rond ? Comment ouvrir des nouvelles portes ?", il proposera de nous imposer des exercices d’écriture qui nous forcent à écrire quelque chose qui ne nous ressemble pas. Écrire dans un genre qu’on n’affectionne pas ou aborder des thèmes qui nous sont éloignés. Au bout de plusieurs textes, on retrouvera tout de même sa patte, son propre langage. Il faut "penser sa liberté autrement", ce qui peut, au début, dérouter, mais au bout d’un moment, on finit toujours par s’y retrouver. En plus riche et plus complet.

 

Pour finir, un écrivain doit lire ! Il est important d’être curieux, de découvrir la littérature de tous les continents. Un écrivain doit être un "lecteur savant" et déceler les différentes techniques d’écriture, les diverses recettes.

 

 Notes prises par Julia Germillon le 22/09/2012

 

 - Dernier jour au "Festival America" demain ! Découvrez le programme : www.festival-america.org

- Pour en savoir plus sur Lyonel Trouillot : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lyonel_Trouillot

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