Nichol est grand.

Grande surprise cette nuit, en terminant le roman de James W. Nichol, Ne te retourne pas. Étrange titre, d'autant que l'original, Midnight cab, sonnait mieux. La traductrice a-t-elle joué un rôle dans le choix de ce titre ? Nous enquêterons. Mais cela est inessentiel. L'important, c'est que Ne te retourne pas s'avère être un excellent roman, un de ceux qu'on ne lâche pas, que l'on commence à 21 heures et que l'on garde avec soi sous la couette.


Pour une fois, je ne consentirai à lâcher que bien peu de mots au sujet de l'intrigue. Voici l'incipit : "1995. Walker Devereaux, trois ans, se tient debout au bord d'une route, mais il est trop petit pour la distinguer." Il est vrai qu'il vient d'être abandonné par sa mère et laissé là ; nous apprendrons plus tard que sa mère... que son père... Mais chut ! Plus un mot !


L'intrigue est surprenante. À dix-neuf ans, Walker part à la recherche de ses parents ; il quitte sa famille d'accueil du côté de Thunder Bay (nord-ouest de l'Ontario) et s'établit dans une ville où il croit que ses parents ont vécu. Il trouve du travail dans une compagnie de taxis. Krista, une jeune femme handicapée physique, le prend sous sa protection. Petit à petit, aidé de Krista, il trouve quelques traces – fort maigres – de l'existence de ses parents, mais se convainc assez vite que quelqu'un cherche à le décourager. Ses recherches gênent. Est-ce le meurtrier de ses parents qui entend bien ne pas le laisser aller plus loin ? Et qui est-ce Bobby, dont l'auteur nous parle tout le temps sans que nous sachions qui il est, ni quel rapport il pourrait avoir avec Walker ?


N'en disons pas plus. Walker enquêtera seul et ira jusqu'en Jamaïque pour savoir comment sont morts ses parents. Et on essaiera de le tuer. Plusieurs fois. Et il est bien possible que l'on réussisse.


Poignant, ce récit inquiétant, parfois atroce, souvent trop sanglant, infect, reste toutefois une quête d'identité qui passionne, qui emporte l'assentiment du lecteur le plus rétif. Non mais, on ne nous la fait pas, à nous ! On a quand même lu Les Misérables ! Et pourtant, et pourtant... Nous allons suivre Walker, cet arpenteur infatigable, ce jeune homme égaré, cet idiot impulsif, dans son pèlerinage absurde et nous le suivrons jusqu'au bout, pataugeant avec lui dans l'infamie, dans l'abjection, et parfois pire : dans la bêtise humaine.

Presque pur, certainement naïf, Walker nous renvoie une image douce : faibles, nous aussi, capables de pleurer, nous aussi, nous attendons avec fatalisme que Walker se fasse trucider. Les rebondissements ahurissants de ce roman ne nous paraissent point invraisemblables : comme la réalité, ils sont faits d'invraisemblances effrayantes, de petits hasards, de chocs, de contre-coups. Contre le cou de Krista, Walker s'endormira. Reste à savoir où il se réveillera...


Je ne puis clore cette humble chronique en oubliant de faire partager à mes lectrices un questionnement qui m'assaille, me saisit, me fait oublier de manger et dormir : n'y a -t-il pas, tels Nichol, de grands auteurs qui nous passent sous le nez, que nous n'avons pas aperçus et que nous ne lirons jamais ? Je crains que la critique littéraire, au beau pays de France, n'ait bien du mal à rendre compte de toutes les merveilles que les pays « étrangers » nous proposent.

En quelques années, j'aurai ainsi découvert l'immense Peter Behrens, l'inquiétante Liz Rigbey, la tumultueuse Elsa Osorio, j'en passe et d'aussi bons..., et maintenant, avec 6 ans de retard, le superbe James W. Nichol ! Bien sûr, le lecteur français a le droit de lire des auteurs français parfois sans intérêt aucun, dûment estampillés par Le Monde et Le Point.


Mais ne devrait-il pas aussi faire ce que j'ose accomplir au péril de ma vie : dès 5 heures lorsque Paris s'éveille, aller sur les vide-greniers, chez les brocanteurs, les bouquinistes, et s'emparer du premier roman venu, rien qu'en lisant la quatrième de couverture et quelques pages ?


Bertrand du Chambon


James W. Nichol, Ne te retourne pas (Midnight cab), traduction de Mathilde Martin, éditions 10-18, 2006, 378 pages.

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