Pierre Assouline, Retour à Séfarad : L’Espagne au cœur

Il l’a pris au mot. Quand Pierre Assouline a entendu le roi Felipe VI proposer aux Juifs d’origine espagnole comme lui dont les familles avaient été chassées par l’inquisition en 1492 de « revenir » symboliquement au pays, l’écrivain lui a obéi. Et sous le regard surpris de ses proches, notre juré Goncourt de constituer derechef un dossier en vue d’obtenir la nationalité espagnole. Mais n’obtient pas qui veut ce sésame : entre tracasseries administratives, recherche de preuves, examen de langue et de culture, il faut donner de son temps et de sa personne

Voici donc l’auteur de Lutetia lancé dans une enquête à la fois intime et familiale mais aussi universelle. Car il ne s’agit rien de moins que de redonner vie, cinq cent ans après à la Séfarad disparue, cette communauté juive heureuse et reconnue, attachée à sa langue, ses coutumes, et sa cuisine, fière de ses artisans, ses marchands, ses intellectuels. Jusqu’au décret de bannissement instauré par Isabelle la catholique et le départ tragique de ces familles qui durent abandonner leurs maisons, leurs métiers, la terre de leurs ancêtres pour essaimer partout en Méditerranée et ailleurs, tout en conservant au cœur l’amour pour l’Espagne.

L’auteur excelle à nous faire revivre ces années de sabre et de sang, à interroger les vestiges d’une civilisation disparue, avec à-propos et noblesse. Car l’exercice littéraire est avant tout celui de l’admiration. Convoquant à la fois ses poètes favoris, comme Lorca ou son cher Cervantès, Assouline livre au cours de ses lectures, de ses rencontres, une radiographie de l’Espagne d’hier et d’aujourd’hui.

Que ceux qui redoutent le cours d’histoire se rassurent : si le texte est très documenté, il se révèle souvent drôle, toujours sensible. On navigue entre Julio Eglesias et Rafael Nadal, Almodovar ou Truffaut, Romain Gary et Lévi Strauss, ainsi qu’une quantité d’illustres inconnus et des sommités qui tous ont quelque chose à dire sur l’identité, la transmission, la recherche de racines. Au fil des pages, on cerne les différents visages de l’Espagne, de l’Inquisition, cette tragédie à la démocratie d’aujourd’hui mais aussi, et dans un même mouvement entraînant, l’histoire intime d’un homme profondément français et amoureusement espagnol. Prenant.

Ariane Bois

Pierre Assouline, Retour à Séfarad, Gallimard, janvier 2018, 448 pages, 22 €

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