Chroniques de l’absurde, de Patricia Duflot : Actualité de la chronique, chronique de l’actualité…

Sans conteste, Alexandre Vialatte a donné à la chronique ses lettres de noblesse. Non qu’il ait inventé cette forme littéraire dans laquelle se sont illustrés, de tout temps, maints écrivains. Jusqu’à l’époque actuelle qui a vu fleurir, outre Vialatte, des chroniqueurs aussi savoureux que Jean d’Ormesson, Philippe Meyer ou Philippe Bouvard – je cite les premiers noms qui viennent sous ma plume, mais la liste est loin d’être exhaustive. Sans compter, à côté des chroniqueurs patentés, certains « occasionnels » qui valent aussi le détour. 

Qu’est-ce donc qui séduit des écrivains ou des hommes de radio ayant, par ailleurs fait leurs preuves ? Sans nul doute, la liberté offerte par un exercice d’où est absente, au moins en apparence, toute contrainte. À l’inverse du roman qui exige un minimum de cohérence sous peine de désorienter le lecteur, la chronique peut aisément s’en affranchir. Ne serait-ce qu’en raison de sa brièveté. Et cette liberté s’accompagne d’une autre tout aussi alléchante, le choix du sujet. Badin ou sérieux, dramatique ou pittoresque voire inattendu, qu’il emprunte au quotidien ou exploite l’extraordinaire, il est toujours laissé à l’initiative de l’auteur. Et il en est de même du ton adopté par celui-ci. Le genre a toutefois ses exigences. La première est de bien choisir sa cible. La seconde, de viser juste, avec interdiction de se perdre dans des méandres. Une pureté de geste comparable à celle de l’archer zen.

Ce préambule pour constater que le genre conserve ses adeptes. Ainsi de Patricia Duflot. Dans le domaine des lettres, celle-ci n’en est pas à son coup d’essai. Romancière (son roman Jizzy. Une histoire de jazz en Amérique a été présélectionné, en 2013, pour le prix de l’Académie du Jazz), nouvelliste, auteur de poèmes, elle affectionne les textes brefs. Mieux que d’autres, ils privilégient son amour de la langue. Son goût proclamé pour la musicalité de la phrase, pour son rythme, pour la précision des termes. Tout cela l’a conduite à assurer, en outre, des émissions régulières sur la radio Pays d’Hérault. Elle donne aujourd’hui, dans la même veine, des Chroniques de l’absurde, une série de textes courts qui constituent la version écrite de ses billets radiophoniques. 

De quel absurde s’agit-il ? Sans doute de celui qui se manifeste dans tous les domaines de notre existence y compris la plus quotidienne. Patricia Duflot le débusque. Le traque dans les domaines les plus divers. L’observe, le dissèque. Le passe par l’étamine de son imagination – la définition des termes « imagination » et « imaginaire », empruntée au Larousse, figure en exergue de son livre. C’est dire l’importance qu’elle accorde à cette faculté qui prend, chez elle, appui sur l’observation du réel. Sa verve, souvent satirique, se déploie dans toutes les directions, la politique, l’art, la technologie moderne, les mœurs et leur évolution, la société et ses injustices, que sais-je encore ? Autant de thèmes propres à susciter son ironie. Voire sa colère et son indignation. 

Il arrive parfois que le lecteur ne suive pas l’auteur sur son terrain. Que certaines de ses réactions lui paraissent systématiques ou trop convenues. C’est la règle du jeu. La preuve que ces textes ne laissent pas indifférent. Que demander de plus ?  

Ces chroniques sont suivies de « Ces petits riens », expression empruntée à une chanson de Serge Gainsbourg. Des « proses » inspirées par l’existence de tous les jours. Celle-ci acquiert, sous la plume de Patricia Duflot une dimension nouvelle, souvent inattendue, dans la mesure où la chroniqueuse aborde par leur face cachée des réalités banales, voire triviales (ah, cette évocation du corps masculin…) qui s’en trouvent métamorphosées. Tel est le charme de ces textes brefs, que caractérise, ici encore, leur diversité. Une réflexion sur le langage où est conviée l’étymologie y voisine avec une méditation sur le tympan de l’abbatiale de Conques. Ailleurs, c’est le temps qui devient source d’inspiration. « Perdre son temps, assure l’auteur, c’est un tremplin. » Vialatte – encore lui – défendait l’idée que « le temps gagné ne se rattrape jamais ». On mesure par là qu’il est des thèmes particulièrement propices à la chronique. Si l’on ne redoutait de céder à la facilité, on se risquerait à ajouter qu’ils traversent… le temps !

Jacques Aboucaya

Patricia Duflot, Chroniques de l’absurde, suivi de Ces petits riens, L’Impromptu, février 2019, 166 p., 15 €.

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