"Récits vénitiens" d'Henri de Régnier

On a tout écris sur Venise, des plus beaux romans qui soient (Mort à Venise) aux pires abjections qui n'utilisent que le cadre avec les pigeons dedans (nous tairons les noms par pitié), jusqu'aux essais dont celui, intelligent et féroce, admirable en tout point de Régis Debray (Contre Venise). Pourtant, il reste encore un peu à lire, il reste surtout à sortir des Palais et à se promener, simplement, avec ses habits d'homme, à la recherche de soi. 

Parce qu'il y va en promeneur des rues loin des mondanités depuis quinze ans, qu'il se mêle à la foule et regarde les maisons simples comme autant de curiosités, Henri de Régnier s'affirme un intime de la cité. Loin de Barrès et de la tradition du languissement pour qui Venise est une sublime « moisissure d'eaux et de siècle », Henri de Régnier se consacre aux notations du quotidien, à la banalité des choses qui pourraient être aussi belles partout ailleurs, mais qui le sont, ici, à Venise. 

« Le point essentiel et le précepte fondamental est de vivre à Venise comme on vivrait partout ailleurs, d'y rester soi-même et de ne pas s'y faire une âme factice. [...] Ne sacrifiez pas vos aises et vos goûts au souci de la couleur locale. Ne demandez à Venise que votre agrément. » Non seulement le précepte est essentiel, il préserve le promeneur des parcours fléchés pour touristes, mais il est suivi à la lettre par l'auteur lui-même qui va à son pas et ne se montre pas forcément où sa notoriété acquise déjà l'eusse fait ouvrir grandes les portes dorées.

Les récits de ce volume, L'Entrevue et Au Café Quadri, se présentent comme des promenades sans but précis au hasard de la beauté rencontrée et marqués par l'amour, celui d'un homme pour une ville, ses réalités mêmes sombres et pas ses dorures : « [...] mon amour pour Venise fut toujours un amour sain et simple, un amour familier, exempt de snobisme de d'esthétisme, exempt aussi de romantisme [...] » Et comme le parti pris est celui de la modestie amoureuse, Régnier parvient à maintenir tout le temps une écriture simple et forte, enjouée mais précise et toujours appelée à un plus poétique. 

Venise a une part importante dans l'oeuvre du poète, un recueil de nouvelles en a même été composé (Les Contes vénitiens, 1927). C'est donc tout naturellement que les deux textes réunis ici sont la plus agréable introduction à la personnalité simple et attachante de Henri de Régnier. 

Ce précis de tourisme littéraire et amoureux est admirablement servi, par un éditeur soigneux de ses petits objets précieux qui font la renommée de La Bibliothèque, par une préface et une postface toutes deux remarquables en ce qu'elles informent sans lasser, qu'elles servent bellement les écrits de Régnier. 

Loïc Di Stefano 

Henri de Régnier, Récits vénitiens, préface de Gérard-Julien Salvy, postface Bertrand Gallimard  Flavigny, La Bibliothèque, "L'écrivain voyageur", février 2004, 200 pages, 16 euros

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