"Funambules", de Julia Germillon : à Paris, Serge Gainsbourg venait de mourir

Funambules est d’abord l’histoire d’une rencontre entre Julia Germillon, qui signe ici son premier roman et une nouvelle maison d’édition, Lunatiques (1), qui vient de fêter sa première année d’existence. Ce roman nous a été présenté à la fois par Julia Germillon et par son éditrice, Pascale Goze, lors de notre dernière réunion mensuelle : j’ai d’abord été séduite par la personnalité de l’auteur, une jeune femme dynamique et souriante, qui a su me donner envie de lire son roman. La présentation de Lunatiques, une maison d’édition qui revendique sa volonté de débusquer des auteurs dissonants, a fini de me convaincre de me lancer dans la lecture de Funambules

Sur le fil entre rêve et réalité

Paris 1991, Serge Gainsbourg vient de mourir, la culture grunge s’impose et l’on célèbre encore la chute du mur de Berlin et la réunification allemande. Un tournant culturel et historique qui va être aussi celui des trois personnages qui, tels des funambules, évoluent sur un fil entre le passé et le présent, entre une réalité effrayante et un avenir fantasmé. Ben d’abord, aussi révolté qu’effacé, erre de squat en squat en marge d’une société où il ne trouve pas sa place et qui l’effraye autant qu’elle l’attire. Puis il y a Sara, jeune berlinoise, qui fuit une mère trop protectrice et un passé douloureux pour se tourner vers un avenir dans la ville de ses rêves, Paris. Enfin, Jane, jeune étudiante en lettres, photographe à ses heures perdues, qui remet en cause une vie rêvée par Pépé, un grand-père aussi fantasque qu’aimant. Trois personnages au lourd passé, effrayés par l’avenir, qui vont devoir exorciser leurs peurs pour vivre le présent. À leurs côtés, nous retrouvons aussi Baba, le saxophoniste du métro blanche, à la sagesse quasi proverbiale, Bonaventure dit Bonav’ le peintre ivoirien au charisme intimidant et surtout Mimi, l’ouvreuse de théâtre…

Fan des années 90

Si Funambules est un premier roman remarquable, c’est d’abord parce que son auteur, Julia Germillon, a fait un véritable travail de fourmis pour retranscrire avec une exactitude quasi maniaque, l’ambiance, l’atmosphère des années 90. La description de certains quartiers comme celui de Barbes ou du canal St Martin détonne par rapport à ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Quartiers populaires, peu fréquentés des touristes car ayant une mauvaise réputation, ces quartiers étaient le cœur d’une vie alternative parisienne comme en témoigne le « point de chute », le squat fréquenté par Bonaventure et Ben où se retrouvent musiciens, funambules et artistes de tout genre. Cette visite de Paris, guidée par Ben, Sara, Jane et les autres, se fait au rythme d’une bande son alliant des classiques comme Brel au grunge avec Alice in Chains (2) ou Nirvana : Julia Germillon insère ainsi à la fin de son roman, l’ensemble des morceaux cités et ils sont nombreux.

Remarquable, Funambules l’est également pour la densité de ses personnages : tous sont travaillés avec beaucoup de précisions, qu’il s’agisse des personnages principaux ou secondaires. La vie de Sara, Ben et Jane est retranscrite par un narrateur externe, chaque chapitre étant daté, presque comme un journal intime. Seule véritable narratrice, Mimi, l’ouvreuse, dont les chapitres sont écrits en italiques, viennent suspendre quelques instants le déroulement de ces histoires. Car des histoires, il y en a plusieurs, celle de chacun des trois personnages mais aussi celle qu’ils ont en commun. Sans compter Mimi mais il est difficile d’en dire plus sans dévoiler un des aspects les plus intéressants de ce roman.


Vous l’aurez compris, Funambules est un roman complexe et dont on a du mal à se détacher. Une très beau premier roman publié par une maison d’édition qui a du flair et qui a aussi fait le choix de publier, sous un format original, de beaux livres sur un épais papier ivoire (Munken Pure rough pour les connaisseurs). Il ne nous reste plus qu’à attendre le tome 2 de Funambules sur lequel Julia Germillon planche actuellement : je serai parmi ses premières lectrices.

Julie Lecanu


 

Julia Germillon,  Funambules, Lunatiques, Janvier 2012, 348 pages, 24 € 

 


 (1) Un site esthétique et hors norme pour une toute nouvelle maison d’édition : ICI
(2) Pour un petit exemple de l’atmosphère musicale de funambules :



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