Sergio Alvarez et ses "35 morts" : pas un roman, un cyclone

L’inquiétant volatile choisi pour illustrer la couverture eût dû nous mettre en garde : ce travelo de vautour fringué par un couturier parisien porté sur l’exta ne présageait rien de bon. 440 pages de montagnes russes, pardon, colombiennes, vous laissent sur le flanc.

 

Ça commence par les dernières heures de cette ordure de Botones, gangster colombien, cerné dans sa maison par la police après avoir été trahi par cette pute de Candida. Dans la fusillade tombe le policier Ruben, le soupirant de Nidia, la mère de l’auteur. Celle-ci, désespérée, va se faire engrosser par Fabio, un entrepreneur. Elle accouche mal et meurt. Il naît. Il n’y aurait qu’un poète sud-américain pour exprimer le romantisme fou et le sens de la mort et de la dérision qui fermentent dans le récit de ces événements ; pas étonnant, ils participent de la nature même de l’air dans les Amériques du Sud, jusqu’à la frontière du Mexique et des États unis exactement. « Oltre Tijuana, chico, no hay nada que penes frios, » comme me le dit un jour un taxi péremptoire.

 

Et l’écriture : allez baiser les mains du traducteur Claude Bleton et porter son ordinateur sur l’autel de la Virgen de Ciquinquirà. Exemple : « Petite, boulotte, cheveux bouclés et regard malicieux, elle sortit son cul du car et sourit comme si elle était la reine du bonheur… » Vous la voyez déjà : c’est Cristinita, la tante de l’auteur.

 

Bon, Fabio pleure sans cesse et commence à débloquer. Il se suicide. Son chenapan de fils a été adopté par Cristinita, il s’est enfui, a été attaqué par des chiens, a fait un enfant à une jolie fille, Estrella, a été récupéré par sa tante et celle-ci le met dans le car pour Bogota (jusqu’alors, nous étions à Barbacoas). Et tout ça sans un seul paragraphe !

 

On ne peut pas tout raconter, on ne peut d’ailleurs rien raconter d’un livre dont les chapitres commencent par des phrases telles que : « Je devins communiste après un orgasme. »  D’un même souffle, Alvarez poursuit cette histoire pleine de bruit et de fureur, de flics, de révolutionnaires, de drogue, de bombes et de balles, mais certes pas racontée par un idiot. Et toujours sans un seul paragraphe.

Non, pas un roman, un cyclone. Et un écrivain hors pair, Alvarez. Qui évoque le poème de Borgès, Allusion à une ombre : « Rien dans le soir gris qu’une histoire tronquée… »

 

Gerald Messadié

 

Sergio Alvarez, 35 morts, Trad. de l’espagnol colombien par Claude Bleton, Fayard, août 2012, 440 p., 22,90 €

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