Elizabeth Gaskell avec "Les Amoureux de Sylvia" : à l’égale de Charles Dickens

1796, dans le port légendaire de Whitby : Sylvia Robson, beauté de seize ans aux yeux pâles, est follement aimée de son cousin Philip Hepburn, mais c’est le baleinier Charley Kinraid qui la troublera à jamais. La région aussi est troublée, autant que l’époque, car les sergents recruteurs raflent les jeunes hommes pour les engager dans les armées de Sa Majesté George III et les mener à la guerre contre la France. Comme le marteau d’un forgeron, les coups du destin changeront la tendre Sylvia en un personnage d’une autre dimension et d’une autre substance : tragique. La courtoisie à l’égard du lecteur nous interdit d’en révéler plus.

Telle est la trame générale de ce roman d’Elizabeth Gaskell (1810-1865). 

 

Cet auteur est surtout connue en France des amateurs de littérature anglo-saxonne et pour sa remarquable biographie de sa contemporaine Charlotte Brontë. Quelques-unes de ses œuvres avaient déjà paru en France ces dernières années, sans lui valoir toutefois la place qui lui revient. Aussi faut-il saluer avec plaisir la parution des Amoureux de Sylvia, l’un de ses meilleurs romans, car elle s’y classe comme l’égale de celui qui lui mit d’ailleurs le pied à l’étrier, Charles Dickens. Ce ne fut pas une coïncidence : Gaskell, épouse de pasteur et vivant dans ce grand centre industriel qu’était déjà Manchester, partageait avec l’auteur des Grandes espérances une conscience sociale vigilante et l’intuition des conflits souvent âpres entre les individus et la nouvelle société  créée par la Révolution industrielle. Mais au bout de quelques pages, on s’avise que ni le regard ni la plume ne furent ceux d’un homme.

 

Les Amoureux de Sylvia n’est cependant pas un « roman social », au sens où on l’entend pour les œuvres de Balzac et de Zola : la réalité de ses personnages y prime et s’impose sans effort ; c’est un roman d’émotions. Si l’ouvrage se distingue si nettement d’une œuvre telle que le célèbre Pride and prejudice de Jane Austen, drame cantonné au milieu aristocratique et auquel le cinéma a rendu un hommage appuyé, c’est parce que le regard de Gaskell sur la vie en province a été naturellement élargi par la sensibilité du nouveau public des travailleurs et l’émergence des femmes dans la vie sociale.

 

Saluons aussi le travail de la traductrice, Françoise du Sorbier ; il  fut une gageure : dans son souci de couleur locale, l’original comportait des passages en patois du Yorkshire ; c’eût été la galère pour la traductrice et ses lecteurs. Quelques licences du langage familier y suppléent largement. L’appareil de notes est discret et utile.

Non pas une « lecture d’été », une lecture tout court. 

 

Gerald Messadié

 

Elizabeth Gaskell, Les Amoureux de Sylvia, Trad. et notes de Françoise du Sorbier, Fayard, avril 2012, 516 p., 24,50 €

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