James Renner, Addict : L’enquêteur avait un grain

Par une belle nuit de février 2004, la voiture accidentée d’une jeune élève infirmière, Maura Murray, est retrouvée à des centaines de kilomètres de chez elle. Mais de traces de Maura, aucune. On ne la retrouvera d’ailleurs jamais.

Des dizaines d’enquêteurs, de policiers, de journalistes s’acharneront sur cette affaire, repéreront des centaines d’infimes détails, tels que ce chiffon enfoncé dans le tuyau d’échappement de sa voiture, referont son itinéraire, analyseront ses projets de mariage, ses études à l’université du Massachusetts – « quatre-vingts hommes au sol et un hélicoptère dans les airs ». Rien, rien de rien. Ils ne trouveront strictement rien qui leur permette simplement d’affirmer que la jeune femme a été assassinée. Elle pourrait tout aussi bien avoir disparu volontairement ou avoir été enlevée puis demeurer séquestrée quelque part. Et que faisait-elle là, dans ces montagnes peu accueillantes du New Hampshire ? Et comment peut-elle n’avoir laissé aucune trace dans la neige ? Cette disparition a-t-elle un rapport avec la femme retrouvée morte du côté « du mont Kancamagus » ? Si quelqu’un l’avait assassinée dans cette région, n’aurait-on pas dû découvrir son corps, des mois voire des années après ?

Toutes ces questions, et bien d’autres, vont littéralement obséder le journaliste qu’est James Renner. En 2010, il reprend l’enquête ; il reconnaît volontiers, avec une légère délectation masochiste, qu’il est subjugué par cette disparition, conquis, absorbé, au point de rouler des jours sans s’arrêter, se nourrissant d’abjects sandwiches et buvant du bon whiskey irlandais.

Quand il était enfant, James Renner a été victime d’un traumatisme bizarre : il est tombé amoureux d’une petite fille qui a disparu mystérieusement, en contemplant sa photo sur les affiches de recherche ; elle a été retrouvée morte ; il ne s’en est jamais remis. Depuis, il court sur les traces de jeunes filles, fillettes ou femmes disparues. Il nous décrit son obsession, son mal-être, ses relations avec sa femme, avec son fils, avec sa psychologue, avec les nombreux enquêteurs qui s’intéressent à son travail. Tout cela est accompli avec méticulosité, avec le soin de quelqu’un qui veut vous expliquer chaque piste, ou chaque obstacle, tel que le « red herring, le hareng rouge : … un type de hareng saur, … salé en saumure, ce qui lui donne une odeur particulièrement puissante. Un journaliste du XIXème siècle affirmait qu’on pouvait traîner ces harengs à l’écart de sa propre piste pour en détourner tout chien lancé après soi. Mais qui pouvait bien vouloir fourvoyer la police dans le cas de Maura ? Son meurtrier ? Peut-être. Si vous pensez qu’elle a été assassinée. Maura elle-même ? Quelqu’un qui savait pourquoi elle était dans le New Hampshire en premier lieu ? »

Tout en détaillant la manière dont il mène son enquête, James Renner essaie de nous faire comprendre pourquoi il ressent cette terrible fascination pour cette affaire. C’est sans doute là que son récit – ce n’est pas un roman ! – est le plus original et le plus intéressant. Nous le suivons pas à pas, en nous demandant réellement s’il ne va pas craquer, devenir complètement fou et surtout, s’il ne va pas abandonner cette recherche qui le dévore. Et Maura ? Apprendrons-nous enfin ce qui lui est arrivé, alors que la police, près de six ans après, n’a toujours aucun résultat ?

Mieux qu’un polar, nous lisons là un compte-rendu d’enquête, écrit par quelqu’un qui connaît son métier, qui a comme nous des failles qu’il ose dévoiler, une curiosité insatiable dont il expose les origines. Il semble qu’avec cet auteur, né en 1978, journaliste américain déjà renommé, l’éditeur ait trouvé le page turner par excellence : on vous défie de vous arrêter au milieu. Vous courrez sur les traces de Maura Murray. Un beau jour, vous saurez.

Bertrand du Chambon

James Renner, Addict. Traduit de l’anglais par Caroline Nicolas. Éditions Sonatine, août 2017, 317 pp. 20 €

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