S’approcher de la perfection avec Andrea De Carlo

Var insolite : tandis que non loin de Fayence, on s’apprête à fêter le mariage d’un rocker anglais très célèbre, Nick Cruickshank, une jeune italienne, Milena Migliari, concocte des glaces exceptionnelles avec des soins de sage-femme. Les parfums qu’elle arrive à restituer sont ahurissants, les goûts qu’elle développe sont exquis, elle fascine tout le monde par son art attentif et délicat. Et c’est ce que fait aussi Nick, de son côté : il compose des morceaux de musique qui fascinent des générations de fans, et son charisme le rend irrésistible. Mais qu’y a-t-il de commun entre ces deux personnages ? Apparemment, rien.

Un beau jour, ils font vaguement connaissance : elle livre de ses délicieuses glaces chez lui, à la demande de sa femme. Une autre fois, il la revoit. Il la croise dans un village. Il essaie d’échapper à la fête épuisante qui s’annonce et à la vulgarité des membres de son groupe de rock. Elle tente d’échapper aux désirs de sa compagne, qui voudrait qu’elle subisse un traitement hormonal pour avoir un enfant. Milena et Nick se saluent ; ils osent à peine s’approcher.

Ce qui transforme cette intrigue banale en un récit trépidant, c’est l’extrême acuité de l’évocation des sentiments, la délicatesse extrême avec laquelle l’auteur dépeint les goûts, les sons, les mouvements : avec des pierres, il ferait de la dentelle. C’est un carrousel de sensations finement décrites, vivement tournées, en un mot : subtiles ; cet auteur italien compose un miracle de subtilité :

« Ce sont des fruits si simples, et curieux. Lorsqu’ils sont encore clairs et loin d’être mûrs, ils sentent la pomme, non ? Ils n’acquièrent leur saveur que lorsqu’ils s’assombrissent et se racornissent.

Elle acquiesce, avec une emphase excessive :

Et ils sont tellement doux, mais leurs feuilles contiennent une substance qui annule la sensation de douceur. La zizyphine.

Il la regarde fixement sans rien dire, il semble fasciné. »

Ayant ainsi parlé du goût de la glace à la jujube, ils ne pourront plus cesser de se parler, de s’entendre. Seulement voilà : que pourraient-ils vivre ensemble ? Lui va se marier, et elle va peut-être avoir un enfant. Tout l’art d’Andrea De Carlo est de nous faire comprendre leur aparté, et de nous conduire à un dénouement qui est aussi subtil et mystérieux que le bruit du vent dans les oliviers du Var. Il nous faut aussi saluer chapeau bas la traductrice, Chantal Moiroud, qui parvient à restituer l’incroyable précision du style d’Andrea De Carlo.

Une fois encore, un très bon auteur, servi par un très bon éditeur et une très bonne traductrice, voilà ce qui se fait de mieux… Et « la merveille », direz-vous, pourquoi donc est-elle « imparfaite » ?

Eh bien, Milena nous le dit au début : « parce qu’elle ne dure pas. »

Bertrand du Chambon

Andrea De Carlo, La Merveille imparfaite, HC éditions, juin 2017, 347 pages. 22 €

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