Un chateau en forêt - l'enfance revisitée d'Hitler

UN CHATEAU EN FORETNorman Mailer, disparu le 10 novembre 2007, s'est éteint en laissant, après 10 ans de silence littéraire, son ultime roman, un Chateau en forêt, qui s'emploie à retourner aux origines du mal : l’enfance, l’adolescence et la famille du petit « Adi » Hitler. Il est difficile de classer ce livre à la fin d’une lecture qui s’est révélée laborieuse et pourtant ininterrompue. Nous sommes poussés à continuer malgré notre lassitude et notre irritation devant l’histoire et le style de cet auteur qui n’est pas loin de celui de l’Assommoir.

Le récit est écrit à la première personne : Dieter, officier SS appartenant à la section spéciale IV-2a, travaille directement sous les ordres d’Himmler dont le principal centre d’intérêt est l’étude de l’inceste. Il développe la théorie selon laquelle le croisement de patrimoines génétiques similaires peut, en de rares occasions, permettre de donner naissance à un surhomme.

Il s’agit alors pour le narrateur de rechercher les origines du dictateur pour confirmer ou infirmer cette théorie. En réalité, Dieter se révèle être un démon de second rang officiant sous les ordres du « Maestro » qui, vous l’aurez compris, n’est autre que le Diable. Le démon s’attache à décrire l’influence que les forces sataniques exercent sur ce « sujet prometteur » qu’est le petit « Adi » et ancrer chez lui les germes du dictateur qu’il est devenu par la suite.

En réalité, ce roman n’est pas uniquement centré sur Adolf : ses parents, ses frères et sœurs et ceux qui l’ont entouré lors de son enfance jouent un rôle important. La première partie est ainsi consacrée à la généalogie incestueuse d’Adolf Hitler : celui-ci est issu de l’union d’Aloïs Hitler et de sa nièce Klara, dont on soupçonne rapidement qu’elle est en réalité sa fille. Aloïs est présenté comme un homme violent, autoritaire et coureur de jupons qui est un client fidèle des forces du Maestro et Klara comme une mère bigote, angoissée, rongée par la culpabilité. La question est de savoir à partir de quand le Mal s’est insinué en lui. La réponse est claire : dès sa conception assistée par les démons. L’enfance et l’adolescence du dictateur sont ensuite décortiquées : on découvre alors les racines de certaines de ses obsessions futures (bien sûr voulues et implantées par notre cher Dieter) : sa fascination pour le pouvoir, un ego surdimensionné, son désir de massacre qui lui offre ses premiers émois. Il est décrit comme un enfant puant (une des caractéristiques des clients du Maestro), craintif qui découvre que pour asseoir son pouvoir, il faut faire souffrir.

Mais Normal Mailer succombe à une orgie de détails psychologiques et historiques, et c’est bien cela qui pose problème. Norman Mailer s’est bien documenté comme le montre l’imposante bibliographie et s’est fondé sur les recherches d’historiens reconnus comme la biographie d’Ian Kershaw (1). Cependant les réinterprétations psycho-historiques des faits qui nous sont racontés s’avèrent capilotractées voir dangereuses pour un public non averti. Le plus bel exemple est celui de l’origine de la moustache hitlérienne : elle serait le résultat combiné de l’admiration sans borne d’Adi pour Luigi Lucheni, l’assassin de Sissi, et de la vision volée de la toison pubienne de sa sœur (en ticket de métro ?)

Autre information historiquement inexploitable : le long (trop long) passage sur l’apiculture et la rencontre avec Der Alte, client du Maestro, homosexuel passionné par les abeilles et leurs relations. Une centaine de pages consacrées à l’apiculture pour en arriver au dénombrement des abeilles gazées et à l’excitation produite par cet événement sur l’enfant… Le parallèle avec les camps d’extermination et ses implications sur la sexualité d’Hitler est rapide mais dénué de fondements.

Un château dans la forêt est donc un roman hybride aussi bien sur le fond que sur la forme. Il interroge sur les origines du mal, les implications du patrimoine génétique et celle d’une intervention métaphysique. L’idée a déjà fait couler beaucoup d’encre aussi la véritable originalité de ce roman réside dans le style de l’auteur. Celui-ci ne lasse pas de nous surprendre. Le ton est tour à tour scatologique, sexuel, sérieux et parfois ennuyeux pour mieux rebondir quelques pages plus tard.

Au final, l’impression est donc mitigée : intéressant certes mais qui nécessite une certaine persévérance. La psychanalyse d’ « Adi » laisse un goût d’inachevé : un château dans la forêt devait être le premier volet d’une trilogie. Aussi devra-t-on laisser germer les bases semées par le regretté Norman mailer.

 

Julie Lecanu


Norman Mailer, Un château en forêt, Plon "feux croisés",454 pages, novembre 2007.


(1) Ian Kershaw, Hitler 1889-1936, Flammarion, 1999

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