À la fin du Hors Venu, nous avions laissé Tancrède d’Anaor, membre de la famille normande royale de Sicile, alors qu’il montait en scelle pour prendre possession de son fief d’Anaor. Nous étions restés un peu sur notre faim et rien ne laissait présager un cinquième tome. Aussi la sortie du sang des ombres a-t-elle été une bonne surprise.

Quand Tancrède devient grand (ou presque…)

Quelques mois après avoir quitté Palerme et son maître Hugues de Tarse, Tancrède a enfin pris possession de son château d’Anaor légué par son père, le duc de Pouilles, fils du grand Roger II, conservé par la sœur de sa mère, une Arménienne farouche et sauvage. Au cœur de la Sicile et des tensions croissantes opposants les nobles normands et lombards, Tancrède peine à asseoir son autorité sur son fief. Mais il doit faire face à une nouvelle menace : des jeunes filles disparaissent et le corps d’une femme a été découvert sur ses terres, atrocement mutilé. Tancrède va mener l’enquête, seul cette fois, sans la clairvoyance d’Hugues de Tarse. Une façon pour lui de s’affirmer, de se détacher de l’ombre de son maître et de devenir adulte.

L’homme est faible face à la chair

C’est sans compter sur la mystérieuse habitante d’une ancienne villa romaine aux mosaïques mythologiques qui envoûte notre jeune éphèbe. Cédant à une passion irraisonnée, Tancrède se retrouve coincé entre le fer et l’enclume : son envoûtante maitresse ne serait-elle pas liée aux disparitions des jeunes filles ? Qui est ce monstre que seul le sang des ombres semble capable d’apaiser ? Entre son enquête et sa passion, Tancrède va risquer bien plus que sa vie : devenir adulte va également signifier pour lui la perte de ce qui lui restait d’innocence.

La Sicile au XIIe siècle
   
Dans le prolongement de la péninsule italienne, au cœur de la Méditerranée, la Sicile occupe une position stratégique qui explique la convoitise dont elle fut l’objet de la part des Byzantins puis des Musulmans à partir du Xe siècle et enfin des Normands au XIe siècle. Le règne des Normands de Sicile connaît son apogée au XIIe siècle sous le règne de Roger II (1101-1154), le grand-père de Tancrède. S’enrichissant de l’apport des civilisations byzantines et musulmanes, la Sicile Normande a connu une évolution originale, devenant une civilisation raffinée dont on ne trouve l’équivalent qu’en Andalousie (al-Andalus). Pourtant à partir de la seconde moitié du XIIème siècle, la généralisation des conflits en Méditerranée, les conflits entre nobles normands et lombards, la pression grandissante du pouvoir pontifical sur le trône normand remettent en cause l’équilibre de la Sicile Normande. La communauté musulmane est marginalisée et peu à peu persécutée. Tancrède agit dans cette Sicile où l’harmonie entre Normands, Latins, Arabes, Grecs et Hébreux se désagrègent. Au-delà des meurtres, les complots visant à déstabiliser le pouvoir des Normands laissent présager un 6eme tome où Tancrède sera pris dans l’histoire et prendra toute sa dimension, où il sera « prince parmi les princes et mendiant aussi.»

Le fond historique de cette série est toujours aussi passionnant. Le ton est beaucoup plus sombre que dans les autres volets, le sadisme des crimes y étant pour beaucoup. Si le 4e tome tournait surtout autour du passé d’Hugues de Tarse, ce 5e tome voit l’affirmation du disciple sans l’appui de son maître. La psychologie des personnages s’affine ainsi et l’on a hâte de voir les retombées sur le futur de Tancrède dans un 6e tome en espérant qu’il y en aura un.

Julie Lecanu

Vivianne Moore,  Le sang des ombres,  Tome 5 : Tancrède le Normand, 10/18, novembre 2008, 320 pages, 7,90 €.

En ce qui concerne les premiers tomes de la série : Tancrède le Normand, une saga de Vivianne Moore