"L'homme démoli", Le premier des prix Hugo
Alfred Bester (1913-1987) passa comme un météore dans le ciel de la
science-fiction. Il commença à publier ses premières nouvelles au début des
années 40 avant de se faire un nom comme scénariste de comics (de Green
Lantern notamment) et écrivain de pièces radiophoniques (The
Shadow). Il n’est donc que peu connu quand il obtient en 1953 le premier
prix Hugo du meilleur roman, plus haute distinction décernée à un auteur par les
fans. Pour autant, Bester écrira peu, préférant s’investir dans le journalisme
en étant rédacteur en chef du magazine Holiday, et ne revenant au genre
que dans les années soixante-dix pour des romans moins marquants (mais peut-être
à redécouvrir ?). Toujours très prisé, L’Homme démoli marque donc une
date historique selon les spécialistes du genre. Il convient maintenant de voir
si cette réputation est justifiée où si nous sommes en face d’un classique
vieillot et démodé, comme le genre peut parfois en
compter.
Non, car la propre fille de D’Courtney l’a surpris en train perpétrer son forfait. Reich doit retrouver ce témoin gênant, l’éliminer tout en parvenant à empêcher le policier Lincoln Powell de prouver sa culpabilité. Sinon, il sera condamné à la démolition, c'est-à-dire le démantèlement complet de sa personnalité afin de le reconstruire purgé de ses pulsions meurtrières.
Tension fit le tenseur
Tension, appréhension
Et dissension ont commencé. »
L’Homme démoli est un mariage réussi du wodunit policier anglais et de la science-fiction américaine. Bester écrit de plus dans un style dynamique. De véritables calligrammes appolinairiens décrivent les conversations entre les télépathiques. Le recours à la psychanalyse est aussi une grande originalité du roman même si elle peut lasser par son emploi systématique. On peut sourire par contre de la description donnée du grand ordinateur de la police, complètement insolite par rapport à notre civilisation actuelle (on n’est pas loin des cartes perforées)… on retrouve aussi une description du businessman américain qui sort tout droit des années cinquante. Bester est ici fidèle à son époque.
Filiation et héritage de Bester
Les auteurs de la New Wave, tant américains (Spinrad, Ellison) qu’anglais (Moorcock, Ballard), ont revendiqué l’influence de Bester face aux auteurs établis comme Asimov ou Campbell. L’écriture de Bester, excitante, jouissive, drôle et innovante dans le cadre de la science-fiction, a de toute évidence inspiré la génération représentée dans l’anthologie Dangereuses visions (1967). Norman Spinrad se situe clairement à ses débuts dans son sillage (mêmes dialogues pleins de gouaille, personnages pleins d’un humour cynique et acidulé typiquement new-yorkais). On pense aussi au Philip K. Dick de la nouvelle « Rapport minoritaire » et encore plus à l’adaptation faite par Spielberg qui reprend la problématique de ce roman. Pourtant, ce n’est peut-être pas ici que son héritage fut le plus fécond…
En 1963, Stan Lee et Jack Kirby lancèrent la série Uncanny X-Men. La description de la télépathie renvoie directement au roman de Bester et à ses policiers télépathes, gardiens d’une société qui les utilise et les craint en même temps (thématique qui est celle des mutants vus comme parias dans le comic book édité par la Marvel). On a finalement l’impression que des scénaristes de comics comme Stan Lee, Roy Thomas et Chris Claremont se sont à la fois inspirés de L’Homme démoli — et aussi des plus qu’Humains de Sturgeon — pour créer et animer un comics feuilletonnesque qui dure depuis presque cinquante ans - et qui fait maintenant carton plein au cinéma.
Voici donc une postérité qui n’aurait pas déplu à Alfred Bester, touche à tout plein de talent dont les intuitions, l’humour et l’inventivité ont enrichi la science-fiction.
Sylvain Bonnet
Alfred Bester, L'homme démoli, traduit de l'américain par Patrick Marcel, Gallimard, Folio SF, Octobre 2011, 310 pages, 6,95 €
Businessman et télépathes
À quarante
ans, Ben Reich est à la tête d’une des plus grandes fortunes du système solaire
mais doit faire face à la menace de Craye D’Courtney. Obsédé par lui au point de
le voir hanter ses cauchemars, Reich décide de le tuer. Son problème est que le
meurtre est quasiment impossible dans ce monde du futur où la police est
constituée de télépathes qui préviennent les crimes avant qu’ils ne soient
commis. Reich recrute donc un des meilleurs télépathes, Gus Tate, pour le
couvrir et parvient à se glisser dans une soirée où il liquide D’Courtney —
malade, celui-ci offre peu de résistance. Reich a-t-il commis le crime
parfait ?
Non, car la propre fille de D’Courtney l’a surpris en train perpétrer son forfait. Reich doit retrouver ce témoin gênant, l’éliminer tout en parvenant à empêcher le policier Lincoln Powell de prouver sa culpabilité. Sinon, il sera condamné à la démolition, c'est-à-dire le démantèlement complet de sa personnalité afin de le reconstruire purgé de ses pulsions meurtrières.
« Tension fit le tenseur
Tension fit le tenseur
Tension, appréhension
Et dissension ont commencé. »
L’Homme démoli est un mariage réussi du wodunit policier anglais et de la science-fiction américaine. Bester écrit de plus dans un style dynamique. De véritables calligrammes appolinairiens décrivent les conversations entre les télépathiques. Le recours à la psychanalyse est aussi une grande originalité du roman même si elle peut lasser par son emploi systématique. On peut sourire par contre de la description donnée du grand ordinateur de la police, complètement insolite par rapport à notre civilisation actuelle (on n’est pas loin des cartes perforées)… on retrouve aussi une description du businessman américain qui sort tout droit des années cinquante. Bester est ici fidèle à son époque.
Filiation et héritage de Bester
Les auteurs de la New Wave, tant américains (Spinrad, Ellison) qu’anglais (Moorcock, Ballard), ont revendiqué l’influence de Bester face aux auteurs établis comme Asimov ou Campbell. L’écriture de Bester, excitante, jouissive, drôle et innovante dans le cadre de la science-fiction, a de toute évidence inspiré la génération représentée dans l’anthologie Dangereuses visions (1967). Norman Spinrad se situe clairement à ses débuts dans son sillage (mêmes dialogues pleins de gouaille, personnages pleins d’un humour cynique et acidulé typiquement new-yorkais). On pense aussi au Philip K. Dick de la nouvelle « Rapport minoritaire » et encore plus à l’adaptation faite par Spielberg qui reprend la problématique de ce roman. Pourtant, ce n’est peut-être pas ici que son héritage fut le plus fécond…
En 1963, Stan Lee et Jack Kirby lancèrent la série Uncanny X-Men. La description de la télépathie renvoie directement au roman de Bester et à ses policiers télépathes, gardiens d’une société qui les utilise et les craint en même temps (thématique qui est celle des mutants vus comme parias dans le comic book édité par la Marvel). On a finalement l’impression que des scénaristes de comics comme Stan Lee, Roy Thomas et Chris Claremont se sont à la fois inspirés de L’Homme démoli — et aussi des plus qu’Humains de Sturgeon — pour créer et animer un comics feuilletonnesque qui dure depuis presque cinquante ans - et qui fait maintenant carton plein au cinéma.
Voici donc une postérité qui n’aurait pas déplu à Alfred Bester, touche à tout plein de talent dont les intuitions, l’humour et l’inventivité ont enrichi la science-fiction.
Sylvain Bonnet
Alfred Bester, L'homme démoli, traduit de l'américain par Patrick Marcel, Gallimard, Folio SF, Octobre 2011, 310 pages, 6,95 €
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