"Eliott du néant", l'être et le néant...

Islande 1986 : le monde d’avant internet, toujours plongé dans la guerre froide (Reagan et Gorbatchev tiendront justement un sommet à Reykjavik cette année-là). Un jeune français nommé Bracken est rappelé par l’école dont il vient de démissionner : le concierge de l’établissement, un vieil autiste nommé Elliot, vient de disparaître, sans explications. Sur place, Bracken constate que la chambre du disparu est dépourvue de toute fenêtre ou issue. Où est passé Elliot ? Après avoir écarté l’hypothèse de l’enlèvement criminel, et devant l’accumulation des mystères, les explications les plus fantaisistes fusent : a-t-il été enlevé par un de ces dieux vénérés par les Islandais avant leur christianisation ? A-t-il disparu dans un recoin caché de la réalité ? C’est ce que pensent Fink, un des anciens collègues de Bracken, et Ploufe, le proviseur : le vieil Elliot serait passé dans une autre dimension. Incrédule, Bracken fouille, inspecte les lieux et remarque des choses bizarres…

« Au début, il y a tout. Le plein, indifférencié, mêlé de lui, soupe trop riche, trop épaisse, bouillon turbulent. »

Difficile de résumer un roman qui repose tout entier sur le glissement d’un monde vers un autre, sur une ligne de fracture du réel sur la    quelle se jouent la vie d’un autiste ainsi que la santé mentale d’un jeune enseignant atypique projeté dans un au-delà rempli des mots et des images de Stéphane Mallarmé. Des échos de Dick et du Lovecraft de La Maison de la sorcière parsèment un récit ponctué de dessins. Les références aux fées, aux légendes préchrétiennes d’une Islande enracinée dans sa culture scandinave rappellent également d’autres auteurs comme Lord Dunsany et Arthur Machen. Au-delà des références, Elliot du Néant est un roman du doute : et s’il existait autre chose ?

    « - Les fées, Bracken.
    - Vous n’allez pas recommencer, Fink.
    - Bracken, écoutez-moi…
Il se penche et d’un air de conspirateur :
    - Je crois qu’Elliot a une affaire avec la reine.
    - La reine ?
    - La reine des fées.
    - Fink… »

Disons-le carrément : David Calvo est gonflé. Il a mis tout ce qu’il est dans ce roman touffu, boursouflé, plein de défauts et en même temps d’une force d’évocation onirique assez rare dans le fantastique francophone. Ce roman se construit au fur et à mesure de la lecture, il est insaisissable. Rien que pour en sentir les effets toniques et salvateurs, il est recommandé d’en abuser, comme d’une drogue bénigne, qui, sans nous blesser, ranimerait l’enfant qui est en nous, celui qui dormait chez Elliot, cet autiste devenu maître du néant. Lisez ce livre et rêvez.

Sylvain Bonnet

David Calvo, Eliott du néant, La Volte, Mars 2012, 313 pages, 18 €
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