"Le Trésor du Rhin" clôt la Malédiction de l'Anneau et la trilogie d'Edouard Brasey

Après Les Chants de la Walkyrie (prix Merlin 2009) et Le Sommeil du dragon, voici la dernière partie de la très attendue « Malédiction de l’anneau ». Le romancier Edouard Brasey, spécialiste des univers de la féerie et de la Fantasy, a déjà publié une cinquantaine d’ouvrages dont La Petite Encyclopédie du merveilleux (Le Pré aux Clercs, 2007).

Epique et tragique à la fois, le roman se parcourt en une envolée ou presque, aussi rapidement que la chevauchée des Walkyries attirées par le sang versé, comme dans un furieux banquet, lors des mêlées militaires. Dans un récit haletant et manichéen, traversé par les violences du cœur et des armes, par les promesses intrinsèquement liées de l’amour et de la vengeance, le meilleur des sentiments des hommes ou des divinités côtoie la pire des tentations.

L’écriture très soignée tisse à merveille le canevas des aventures des mortels, des dieux, des dragons ou des géants sous l’emprise de l’anneau maudit du Nibelung et des ruses du génie du feu Loki. Et une nouvelle fois, la magie des lieux opère aisément. La fatale mécanique du destin annoncée par les antiques Nornes se précipite sur Midgard, la terre des hommes, depuis le retour triomphant de Siegfried à la cour du royaume du Frankenland. Vainqueur de Hunding, roi du Gotland et chef du clan de la Chienne noire, le héros est le fils des jumeaux Siegmund et Sieglinde et descendant du dieu Odin. Ayant promis de revenir auprès de la Walkyrie Brunehilde dont il tombe éperdument amoureux, il n’est pas suffisamment armé pour résister aux mauvais tours de Kriemhilde, la princesse burgonde, qui lui fait absorber un philtre d’amour et d’oubli. Violant les serments de fidélité malgré lui, l’impétueux Siegfried précipite alors une cascade d’événements conduisant des intrigues de cour au Ragnarök, symbole de la fin d’Asgard et du crépuscule des Ases conduits par Odin.

Le narrateur du présent opus est l’anneau maudit du Nibelung après le dragon Fafnir, le gardien du trésor terrassé par Siegfried, dans le deuxième tome et Brunehilde au début de la trilogie. Le choix peut surprendre mais il offre au contraire, dès l’ouverture, un retour évident aux origines de la malédiction. Qui de mieux pour incarner l’histoire de celle-ci que l’infidèle anneau forgé par les maléfiques nains du Nibelung, cet anneau des illusions si convoité qui n’a eu de cesse de provoquer mille malheurs et folie à ses infortunés possesseurs ?

« Je suis rond comme le monde. Lumineux comme le soleil. Fin et infini comme l’horizon. Incorruptible comme l’âme. Plus précieux qu’un trésor. Plus puissant que les dieux, les héros, les géants et les dragons. Refermé sur moi-même comme un serpent lové, j’incarne la roue des cycles de l’éternel retour. Je suis l’Unique, le Tout, le commencement et la fin. (…) Je suis un anneau. Un simple anneau d’or. Mais un anneau maudit. À cause de cette malédiction, les neuf mondes et leurs occupants sombreront bientôt dans un crépuscule de feu. Moi seul survivrai à cette fatalité du néant. Je suis l’anneau maudit du Nibelung. »

Le dernier volet de la trilogie, prévu initialement en quatre volumes, est le plus abouti malgré un dénouement « entaché » d’une sorte de déterminisme religieux sur le nouveau monde après le Ragnarök. En faisant un parallèle entre Balder, le dernier dieu ressuscité et la figure du Christ, n’eut-il pas alors fallu ajouter un autre tome avec le récit, prévu à l’origine, du « brasier des dieux » pour mieux compléter un épilogue peut-être hâtif voire superflu ? Pour l’écrivain, un transfert des mythes semble à l’œuvre et aurait facilité la diffusion du christianisme en Europe du Nord au Moyen Âge. Si une telle hypothèse n’est pas impossible, la courte évocation du monde en devenir crée par un effet de balancier vite bloqué une mélancolie des temps anciens nourrie encore des souvenirs d’Odin et des chants de la Walkyrie. Le romancier, empruntant une ruse à Loki, a peut-être volontairement semé cette dissonance dans les esprits et dessiné les contours d’un choc des mythes pour mieux servir la puissance des anciennes sagas.

Dans cette fresque tout à la fois sombre et merveilleuse, la fantasy renoue avec une mythologie nordique (1) remarquablement revisitée par Edouard Brasey, un conteur digne des œuvres des anciens scaldes (2), un poète presque hors du temps.


Mourad Haddak (et Lilia)


(1) Edouard Brasey reprend et transforme une littérature scandinave qui a servi d’inspiration au compositeur Richard Wagner (sa Chevauchée des Walkyries est une des musiques fortes du film Apocalypse Now de Francis Ford Coppola) et à l’écrivain John R. R. Tolkien pour son immense fresque du Seigneur des anneaux (l’anneau maudit du Nibelung est devenu celui de Sauron et la région du Midgard sert de modèle à sa « Terre du milieu » par exemple). Cependant, force est de reconnaître que dans la littérature fantastique, les divinités nordiques ont moins influencé les écrivains que la geste arthurienne ou les mythologies grecque ou orientales. Voir nos explications données dans la chronique du premier tome.

(2) Un « scalde » est un poète scandinave du Moyen Âge. Le plus connu d’entre eux est l’Islandais Snorri Sturluson (1179-1241) auteur de l’Edda (connue encore sous les noms d’Edda en prose ou de Jeune Edda), œuvre majeure pour la connaissance de la mythologie nordique (une traduction en a été faite par François-Xavier Dillman chez Gallimard dans la collection « L’Aube des peuples », en 1991).


Edouard Brasey, Le Trésor du Rhin, Belfond, avril 2010, 348 pages, 20 € 


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