Ceux qu'on aime, Steve Mosby récidive avec le thriller cornélien et diabolique

Reprenant un peu du fonds psychologique de son premier roman, un sur deux, Steve Mosby pose le lecteur devant une alternative irréconciliable, cornélienne, mais dont il faudra choisir l'un ou l'autre terme, et condamner tout espoir. Un seul mobile apparent : contraindre à faire face à ses responsabilités, forcer à assumer, choisir... Ceux qu'on aime ne fait rien moins que confirmer l'immense talent de conteur et la noirceur de l'univers particulièrement glauque d'un jeune écrivain qui marquera, comme James Ellroy, s'il tient la longueur, ce qu'on souhaite du plus fort de nos jouissantes angoisses...

Destins croisés

Dave Lewis, qui cherche ses fiancées sur Internet et voue une partie de son temps à dénoncer les faux guérisseurs dans son magazine, quand il n'est pas magicien pour animer des soirées. Sam Currie, policier qui pleure de n'avoir pas été là pour les siens, sur la tombe de son fils, entre deux enquêtes glauques. Leurs destins vont se mêler, dans le sang, quand une femme va croiser leur route : pour l'un ce sera une maîtresse, pour l'autre une victime qui vit ses cauchemars et le retour imminent d'un père tortionnaire...

Steve Mosby, qui excelle à ce petit jeu, nous propose une sorte de fable noire, qui mettra le lecteur mal à l'aise car face aussi à sa propre conscience. Remettre à plus tard, ne pas être là au bon moment, ne pas entendre les appels au secours, et se dire que d'autres viendront, alors que les cris n'ont que nous pour destinataires, et finalement être la cible d'un affreux psychopathe qui isole ses victimes, les laisse pour morte attachées et, quelques temps, au moins celui du jeu, prend leur place, répond à leurs mails... La victime n'est rien, la victime n'est que l'objet par lequel accuser l'inertie de ceux qui prétendent aimer.

« Pourquoi ne m'avez-vous pas sauvée ?
Pourquoi personne n'a pris la peine de venir ? »

Le chemin que va parcourir Dave Lewis pour retrouver celle qu'il a abandonnée, selon les critères du psychopathe, est une horrible descente aux Enfers ponctuée de constante confrontations avec soi-même. Il est manipulé comme de rien par la crainte qu'il ne puisse pas retrouver sa victime à temps pour la sauver, et qu'elle soit retrouvée comme les autres, morte desséchée. C'est cette tension qui pose l'affreuse jouissance de lecture que l'on a avec Ceux qu'on aime, que les victimes soient attribuées aux oublieux et pas au criminel. Parallèlement, le chemin que va parcourir Sam Currie pour comprendre l'enchevêtrement des faits qui s'amusent de lui n'en fera pas un homme meilleur, mais un homme rasséréné bien qu'abasourdi et abattu par ses découvertes. Le monstre aura réussi sa démonstration, au prix de plusieurs vies, et d'une résurgence de cauchemars terribles qu'il réincarne, de sa maîtrise des sentiments d'abandon et de la faute dont il fait porter le poids à autrui.

« Il est va toujours ainsi. Les choses les plus importantes finissent par disparaître si vous les laissez disparaître. »

Ceux qu'on aime est de ces romans qui troublent non par l'accumulation de sanguinolentes monstruosités mais, plus insidieusement, par un postulat qui va être posé simplement, développé sans cri et dont la conclusion, simple et acérée, est un miroir jeté devant nous : à partir de quel temps de silence suis-je considéré comme abandonné par les miens ? Le Temps, s'il efface les mémoires, peut-il effacer aussi les gens ? L'écriture est très aboutie, la construction irréprochable, Steve Mosby un compagnon de nuit blanche et de palpitations, qui, livre refermé, ne nous quitte plus, comme ces mythes classiques ou ces fondamentaux de culture qui tournent toujours un peu dans nos têtes.


Loïc Di Stefano

Steve Mosby, Ceux qu'on aime, Seuil, « Points thriller » (Sonatines, février 2009), janvier 2010, 7,50 euros

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