Scream test de Grégoire Hervier

Fort du succès des émissions de téléréalité, où les candidats s'exposent comme autant de rats de laboratoires à tous les voyeurs pour une célébrité aussi forte que vide et sporadique, un « show de la mort », 
The Last one (le dernier) va exploser tous les standards du genre, poussant dans ses derniers retranchements la morale cathodique. Sept candidats, récupérés après un catsing raté, vont s'enfermer et vivre un cauchemar retransmis en direct sur le Net, sur un site payant, et chaque jour annonce le départ d'un d'entre eux, pour la gloire dit-on, mais il est froidement abattu, devant des millions de web-spectateurs... les motivations ? l'argent, car les votes aussi sont payant, et la manne s'élève à plus de 400 millions de dollars. Les victimes ? Rien de pire, n'est-ce pas, que d'être humiliés et rendu à la vie d'anonyme après cette foudroyante gloire. Un sens pratique, donc...

Clara Redfeld (un souvenir de Résident Evil ?) est chargée de l'enquête, impossible au départ tant il apparaît que les kidnappeurs ont tout prévu : anonymat total de leurs démarches antérieures (achat de caméras sous fausses identités, utilisations de tiers non impliqués, etc.), repérage des lieux, sélection des candidats avec une manière de connivence avec eux sur la base du « contrat » morale : ce casting vous a raté, vous avez un potentiel énorme, faîtes-moi confiance, je ferais de vous une star, mais pas un mot et soyez prêt à partir n'importe quand en cinq minutes. Jusqu'au site Internet, protégé par un wizzard qui utilise des passerelles et des adresses IP mouvantes pour faire la nique, et en direct s'il vous plaît, aux spécialistes du FBI ! 

La lutte entre le FBI et le LAPD, la Police de Los Angeles célèbrissime depuis James Ellroy, est faite de petites mesquineries qui complètent le tableau. Cara Redfled est remplacée sur cette enquête à haut risque, parce qu'elle n'est pas capable, par le sous-directeur du bureau local, qu voit là le moyen de monter encore un petit échelon. Mais son arrogance et ses erreurs le font monter des scénarios qui amusent certes beaucoup la presse mais ne font pas avancer les choses, alors que, sans mandat, Clara va permettre l'arrestation du coupable. 

Scream Test n'est pas un simple polar, même s'il a toutes les bonnes recettes du genre : un suspens haletant, une course effrénée pour trouver et arrêter le coupable et, autant que peut, sauver des vies. C'est aussi un roman de société qui ponte avec beaucoup d'intelligence sinon de tact les travers de nos contemporains, et, pour ainsi dire, les nouveaux fondements de notre société. Ce n'est pas un antidote aux déviances du tout télévisuel — d'autres ont essayé et malheureusement l'arrêt des programmes décervelant n'est pas au goût du jour... — mais un bon moyen de rester lucide par la critique et l'ironie sur l'état de rats de laboratoire que devient l'homo ordinarus.

Si le sujet n'est pas tout à fait original (1), Grégoire Hervier a su l'amplifier à outrance jusqu'aux fondements du Slasher, cinéma gore américain où une bande d'adolescents est massacrée par un tueur froid et déterminé (2).  Et même si le « réalisateur » de ce programme The Last One, ses origines et ses motivations, arrivent un peu trop tôt dans la narration — à notre humble avis — Scream test est à la fois un roman prenant, acide et jubilatoire qui s'en prend aussi bien au monde de la télévision, de la presse, de la police, qui sont ridiculisés par le simple fait de montrer comment ils fonctionnent pour tenter de récupérer ce qui les dépasse, que les familles de victimes qui s'exposent volontiers pour témoigner de leur chagrin, rendant malheureusement véridique l'adage qui fait de la téléréalité un miroir que la société se tend à elle-même. Et avec un jeune loup prometteur et talentueux comme Grégoire Hervier, cela peut-être franchement virulent et parfaitement de regarder bien au fond du miroir le Diable sourire !


Loïc Di Stefano

(1) C'est Le Prix du danger d'Yves Boisset de 1983 (avec Gérard Lanvin, Michel Piccoli, Marie-France Pisier, Bruno Cremer), adapté du Prize of Perilde Robert Shekley qui, à notre sens, pose les bases de la critique cathodique en poussant à son treme une logique implacable : mourir pour la gloire, l'argent, et satisfaire en même temps l'appétit barbare des téléspectateurs bien civilisé.

(2) Citons Vendredi 13 et Sream, dont on ne comprendra jamais en quoi cette petite chose a pu terroriser l'Amérique, sinon qu'à force de lénifier la moindre grimace est diabolique !  Mais notons également qu'il était inutile, Grégoire, de nous expliquer le Slasher deux fois, dans un roman qui se lit vite, c'est une de trop...  

Grégoire Hervier , Scream test, Le Diable Vauvert, août 2006, 294 pages, 18,50 euros

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