Belle à tuer montre la maîtrise de Sylvie Granotier à mettre ses personnages sous tension

Un fils de Paris perdu dans une campagne sinon hostile du moins passablement reculée, un célibataire (le même) perdu dans les relations pour le moins compliquées d'une famille dont il est l'ami depuis longtemps mais de loin en loin, comme le témoin épisodique des « progrès » dans la vie commune de ses amis, un cœur solitaire (encore lui) perdu dans les sentiments qu'il éprouve pour une étrange jeune femme, le tout agrémenté d'une série de crimes et de mystères, voilà le portrait de Pierre Mangin, inspecteur mis au vert de force pour une semaine de « repos », que nous propose Sylvie Granotier dans son dernier roman. Et il faut lui reconnaître qu'elle a l'art de mettre ses personnages en situation, dirait Sartre, en imposant un climat inquiétant sans terreur, assez pour titiller le lecteur et assez encore pour déborder de l'intrigue policière en roman du trouble psychologique. 

L'histoire se lit vite et l'intrigue se découvre presque annecdotique, sans rien de péjoratif dans ce propos.  Plusieurs indices nous donnent à comprendre assez vite que la résolution des crimes ne sera que l'apéritif. Une série de meurtres, donc, qui ne semblent pas liés, mais que le gros gendarme du coin est sûr de pouvoir associer si on l'aide un peu... de jeunes hommes, d'aspects identiques (profil : apprentis maçons, beaux garçons aux manières et aux mains rugueuses) sont retrouvés morts, écrasé par une voiture (à plusieurs reprises), noyés, roué de coups ou, même, pas retrouvé du tout ! point commun, les nuits de fortes pluie, pas de trace de sévice sexuel. 

« Arianne m'agaçait comme un abcès qu'on revient triturer. Sans cesse. » 

Belle à tuer est un roman psychologique dont l'action, parce qu'elle se passe dans une province recluse qui tient son rôle grandeur nature, pourrait inspirer un Claude Chabrol pour le moins. Arianne, bibliothécaire et amie de la famille d'accueil de Pierre Mangin — l'inspecteur parisien dont la fonction est d'être le chien dans le jeu de quille et de faire que, révélateur par l'absurde, tout apparaisse du simple fait que l'étranger s'imisse parce qu'il est flic —, porte en elle un mystère : elle attire à elle et demeure froide ensuite, elle agace. Mais Pierre ne peut que forcer son personnage de dragueur de la ville en province pour comprendre, au fond de lui, quel mystère lui fait perdre toute retenue et toute prudence. Serait-ce l'amour ?

La résolution de la série de crimes sera le moment de petites surprises, qui mettent en scène et impliquent les personnages secondaires, mais l'essentiel n'est pas là. C'est confronté à la personnalité duelle d'Arianne, à son côté psychotique et meurtrier, que Pierre en tombe amoureux, et qu'il va alors entrer dans une manière de danse avec elle pour lui faire prendre conscience, quand elle est « saine » de ce qu'elle est quand elle tue. Ces démarches, pataudes, sont l'occasion de rebuffades, car Arianne pense qu'il ne veut que la démasquer. Pierre serait-même en paix avec sa conscience s'il parvenait à extraire Arianne de sa folie… Le terme, dramatique, donnera sens à la folie de la belle, et plongera son amant d'une nuit dans les souffrances de la réalité. Triste épisode champêtre !

Si l'on s'attendait à un énième roman de tueur en série, on est déçu. Mais l'enjeu est ailleurs, il est dans la tension électrique qu'est la relation entre les deux personnages principaux, agrémentées d'un tas de satélites plus ou moins pittoresques, et ces décharges donnent vie à ce roman surprenant. Une belle réussite.

Loïc Di Stefano 

Sylvie Granotier, Belle à tuer, Albin Michel, "Spécial suspens", février 2006, 282 pages, 18 euros

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