Hannibal Lecter, les origines du mal

Un gros tirage (1,5 millions d'exemplaires),  une sortie quasi simultanée partout (USA 5 décembre 2006, France janvier 2007) et un film par dessus (février 2007), de quoi en imposer à tous les fans d'Hannibal Lecteur, le psychiatre cannibale, génie du Mal comme onn'en avait vu depuis longtemps. Baste ! Thomas Harris aurait dû en rester là, laisser planer une ombre au lieu de vouloir tout montrer, car cet Hannibal Lecter, Les Origines du Mal que voilà n'est rien moins qu'une terrible et pittoyable et désolante et ennuyeuse pauvre petite chose. 

N'eût été la curiosité de savoir, finalement, ce qui avait pu faire d'un homme le monstre magnifique qui fit du Silence des Agneaux un événement remarquable dans le monde du polar — et qui donna naissance au genre même des profilers dont on s'est un peu lassé après une vogue démesurée —, la lecture de ce nouvel opus des aventures d'Hannibal Lecter se serait arrêtée très tôt. Car, avant toute chose, disons-le et cela nous fera du bien : le présent de la narration et le style même qui fait s'aligner des petites images monotones n'a qu'un seul effet, régulier et cruel, celui d'endormir son lecteur. Rien, pas une palpitation, pas une once de sueur dans ces mises bout à bout de choses molles...  Mais, en cela, Hannibal Lecter, Les Origines du Mal est la suite logique d'Hannibal, qui nous donnait à vivre les aventures du professeur après son évasion : mal écris, insipide, très largement inférieur — et nuisible en cela — aux deux premiers ouvrages, Dragon Rouge et Le Silence des Agneaux, qui portaient en eux une véritable poésie noire, romantique et nouvelle. Ici : rien.

Alors, puisque le livre est ennuyeux au possible, rendons service au curieux et dévoilons tout ce qu'il y a à dévoiler. L'enfance d'Hannibal, dans le château de sa famille de nobles Lithuanniens. La guerre et les crimes nazis, violence gratuite du côté des méchants et de leurs admirateurs locaux. Le traumatisme, de voir sa mère « exploser » sous ses yeux et d'être séquestré par une bande de pillards et de savoir que, pour survivre, ils ont mangé sa petite sœur. La perte de ses repaires et l'orphelinat soviétique. La découverte de son oncle excentrique et de sa belle femme japonaise — encore un bien joli cliché, rien ne nous est épargné. L'Occupation, la vie à Paris sous le régime de la terreur (c'est l'occasionn de taper un peu, mollement et de manière tant attendue, sur cette période et sur la France). Les études de médecines. La très grande intelligence de l'enfant et sa lutte contre l'attirance de plus en plus pregnante du mal, du sang, de l'interdit, comme un retour par la voie du vice délicieux et maîtrisé aux sources mêmes de son « enfance meurtrie ». 

Certes, tout cela est de nature à engendrer des dérèglements, en chacun, mais pourquoi user jusqu'à la corde un personnage dont la puissance résidait dans le mystère même — ce sourire et cette puissance géniale vouée au mal — pour le faire s'écrouler, comme un sac soudain vide, en l'accablant de réel ? Qu'avons nous à savoir celui qu'il fut, c'est celui qu'il est qui passionne, d'autant que rien dans la narration n'est assez proche de l'étude psychologique pour faire du cas Lecter un vrai beau sujet. Harris, donc, gache tout...

Rien, donc, ne nous fera changer d'avis, et surtout pas ce pittoyable roman : Hannibal Lecter est un héros magnifique, tant qu'il reste dans sa cage et qu'il manipule le monde. Où bien Thomas Harris, qui a excellé dans les jeux morbides dans Dragon rouge et Le Silence des Agneaux s'est-il trouvé poussé par quelque appât du gain et à produit, pour le cinema, une piètre suite dont il est dit que le script a été achevé avant le roman... 

Loïc Di Stefano 

Thomas Harris, Hannibal Lecter, les Origines du mal, Albin Michel, janvier 2007, 364 pages, 21,50 euros

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