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Klingsor ou la nature morte réhabilitée

Nature morte, dit-on en France. Hérésie totale. Trahison fatale. Issue d’une traduction ratée ou d’une fierté cocardière ? Still life, disent les Anglais, une vie silencieuse. Déjà plus propre qu’une chose morte. Cose naturali, affirment les Italiens. Qui furent les premiers à nommer ces peintures montrant des objets. Fruits, meubles… Ici, il s’agira d’un verre. D’un peintre fou qui reproduira toute sa vie, un seul tableau. Ce fameux verre trouvé dans la forêt. Le verre de l’aïeul. Le verre de sa dernière cuite. Déposé sur un tronc d’arbre penché. Oublié des décennies. Un verre malin qui aurait su attendre son heure de gloire. Un verre vivant doté d’une inertie. D’une énergie qui le fera se pencher pour rester… droit. Ainsi de retour dans l’atelier, il se jouera des prismes de la lumière. L’artiste en devenir reste figé, des heures, à contempler l’impensable. Comment ce verre peut-il se tenir ainsi ?
Mais il est le seul à le percevoir de la sorte.
Est-il fou ou seule l’âme de l’artiste est-elle assez ouverte pour sentir la subtilité de certains détails et nous les révéler ?

Dans cette biographie fictive, Lindgren joue de l’insignifiance et de la notoriété. De la notion d’art et de science. De perception et d’immobilité dans le geste. Du mouvement qui accompagne l’esprit… L’artiste est-il monomaniaque ? Egocentrique ? Bipolaire ? Absent ?
Ce roman parcours la réflexion dans un jeu de miroirs sur plusieurs générations qui s’entrecroisent dans le périple d’une tentative de réhabilitation d’un drôle de peintre. Entre esprit et matière, troisième et quatrième dimension, demeurera la pertinence d’une croyance. La jubilation d’une action. Peindre pour montrer, mais peindre aussi pour parler. Essayer de traverser l’ailleurs, d’en revenir. De témoigner que l’on peut regarder autrement. Et qui dit voir différemment dit changer sa façon de vivre.
Une philosophie par l’image.

Annabelle Hautecontre

Torgny Lindgren, Klingsor, traduit du suédois par Esther Sermage, Actes Sud, janvier 2020, 200 p.-, 21 €

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