Vertiges imaginaires : « Le Messager du feu » de Marina et Sergueï Diatchenko aux éditions Albin Michel

Si vous cherchez un roman de fantasy un peu différent, laissez-vous tenter par Le Messager du feu de Marina et Sergueï Diatchenko, que viennent de publier les éditions Albin Michel dans la collection Wiz. Le public français connaît encore mal ce couple d’écrivains ukrainiens, pourtant à la tête d’une œuvre foisonnante, primée à de nombreuses reprises et en voie d’écranisation. Certes, en 2009, les éditions Albin Michel en avaient déjà inauguré la traduction, en publiant La Caverne, mais sans doute n’était-ce pas le meilleur choix possible, au regard du Messager du feu. En effet, alors que La Caverne mettait en avant la réflexion philosophique – une interrogation un peu laborieuse sur les pulsions agressives de l’homme –, Le Messager de feu s’attache davantage à construire un imaginaire, pour le plus grand bonheur du lecteur.


L’intrigue du livre est fort simple, de cette simplicité qui caractérise souvent les œuvres bien conçues. Dans un empire si vaste que personne n’en connaît exactement les limites, Varan aurait dû être condamné à une existence médiocre et laborieuse, sur un îlot où il pleut sans relâche les trois quarts de l’année. Mais sa rencontre avec le mage Léréalaruun va en décider autrement, et Varan partira en quête du mystérieux messager du feu, celui qui voue ses hôtes au bonheur et préside à la naissance des futurs mages. Point de lutte impitoyable entre les forces du bien et du mal, mais une œuvre méditative et poétique sur l’existence (on suit Varan de ses dix-sept ans à la vieillesse) et les limites que la réalité oppose aux rêves et aux aspirations. « Tu connais les limites de tes capacités, explique un autre mage à Varan, et tu sais que tu ne pourras jamais les surpasser, et ça a de quoi te rendre fou ».


Dans un contexte où les mages, figures d’exception censées « apporter au monde quelque chose qui n’existait pas auparavant », n’y apportent finalement pas grand chose, quand ce ne sont pas des nuisances, Varan, pourtant dénué d’atouts à première vue, tranche. Non qu’il apparaisse comme un sauveur, mais parce ce qu’il se montre absolument obstiné dans sa quête. Ni l’amour, ni le pouvoir, ni la richesse ne l’empêcheront de poursuivre ce fameux messager qui devient ainsi le symbole de l’exigence intime conduisant miraculeusement certains êtres à échapper à la loi commune de compromission et de renoncement. Mais, et c’est l’une des grandes originalités du roman, les Diatchenko ne font pas pour autant croire au lecteur que le sacrifice garantit la récompense. Sa quête apporte finalement à Varan plus de tracas que de satisfaction, devenant ainsi moins un choix qu’une malédiction.


Il ne faudrait pas croire, cela étant, que le roman est austère et démonstratif philosophiquement parlant. Au contraire, la vie de Varan se déroule dans un univers aussi riche que stupéfiant, s’élaborant à partir d’images savamment construites, qui parviennent à faire exister une géographie, une faune et une flore inédites, sans lourdeurs ni artificialité. Les amateurs de visions grandioses y trouveront amplement leur compte. Petit bémol, toutefois, à destination de ceux qui aiment les personnages complexes. Les comparses du protagonistes sont pour la plupart unidimensionnels, et Varan lui-même, dont la quête vise au fond à savoir qui il est, sera difficilement moins opaque au lecteur. Mais le mystère des êtres est après tout l’une des thématiques du Messager du feu


Enfin, une question pour finir. Pourquoi avoir publié ce livre dans la collection Wiz, plutôt destinée à la jeunesse ? Cela risque en effet d’en détourner un lectorat potentiel – les adultes – pourtant mieux à même d’en saisir toute la portée existentielle. Cela dit, si c’est à ce prix qu’on peut espérer de voir la traduction de l’œuvre des Diatchenko se poursuivre chez Albin Michel, alors soit.


André Donte

 

Marina et Sergueï Diatchenko, Le Messager du feu, traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs, éd Albin Michel, coll. « Wiz », octobre 2012, 550 pages, 20,00 €

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