Denis Ferdinande : black-out

Denis Ferdinande fume et fulmine en petit voltigeur et en buvant des verres de gin loin des soirées où tout semblent avoir été dit, et ce pour travailler encore. Il ramasse les phrases à la volée sans se lasser. Le voici face à face avec ses vieux démons et la réalité sans voile. De moins en moins capable de la dominer, d'attendre, il lui faut ses segments phrastiques qui comme un peuple en lutte bougent encore, luttent comme s'ils éprouvaient par eux-mêmes souffrance, légèreté et menace latente.

Un effort gigantesque tient donc ce corpus aquatique dégagé des coquillages vernissés et des  merluches du style ampoulé. L'écriture ne peut plus rien contre son irrationnel. Elle oblige l'auteur à danser sous l'arche où il brûle en soldat connu.

Le texte devient une salle d'arme, un saloir. Dans un certain fourbis se mêlent divers procédés de sape. L'aspect journal intime est d'un type où l'intériorité se noie dans l'anarchie du clair-obscur car il n'y a rien à en dire au nom de la fatalité programmée pour atteindre une bien étrange liberté.

L'arche de nuit inouï et premier permet de toucher à cette dépossession de l'être et du monde. Il sert aussi à atteindre dans le relatif et le chaos un imaginaire humain n'est qui n'est pas contaminable par ses objets. Bref comme le monologue d'Ulysse mais selon un autre principe il ramène à une consistance sans consistance du monde et de l'être par la création qui lui accorde la fixation nécessaire.

Dans le genre poético-romanesque c'est bien. Car en dépit de cette fixation, l'Imaginaire n'est plus en construction mais en destruction. Cela ne veut pas dire qu'il se dilue ; au contraire il semble animé d'une existence propre. Et l'écriture poétique de l'auteur permet de donner une sorte de fixité sans forme que seule la forme suggère.
L'assemblage  garde la puissance de transformer le monde en un champ désert, un quasi no man's land où toute activité - humaine ou artistique - se déploie en vain puisqu'elle ne peut atteindre aucune certitude.

Le corpus lui-même devient une zone d'indiscernabilité. Il ne conserve que cette empreinte susceptible de signaler le passage d'un lieu qui n'est plus tout à fait la vie, à un espace, encore moins discernable, où l'être (ce qu'il en reste) n'est qu'en sa fluctuatio animi. C'est là l'ultime espace où le personnage ouvre la scène à venir et qu'annonce les derniers mots du livre .


Jean-Paul Gavard-Perret


Denis Ferdinande, L'arche nuit, coll. Architextes, Atelier de l'Agneau, novembre 2020, 150 p.-, 18 euros

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