Il y a le père et la mère, leur amour absolu, qui les isole
du monde et se font l’un à l’autre un absolu suffisant, la grande sœur, la
première, et une ribambelle de frères et sœurs indéterminés, « comme un
tout indistinct, insécable. Ils sont sa couvée, sa portée. Et l’on
comprend que, quelque soit l’évolution de leur nombre, quel que soit leur âge,
ils resteront toujours pour elle cet amalgame : les petits frères et
sœurs. » L’aînée, seule, a endossé le rôle de mère pour les petits, et le rôle
de princesse pour le père, la mère est le plus souvent alitée dans sa chambre,
le père vaque à quelques occupations mais ne semble exister que pour prendre
soin de la mère. L’aînée va consacrer sa vie à sa famille, sans égard pour
elle-même, sinon dans le regard du père. Puis, elle s’en va, comme si sa place
n’état plus la bonne. Seule en ville, elle découvre la vie et surtout ce qu’est
la vie en dehors de son rôle de sœur-mère. On assiste alors à la naissance d’un
individu en train de se construire, dans la douleur, retrouvant dans la
solitude la noirceur qui est la vérité profonde de son être, qu’elle avait
tenue éloignée au plus profond d'elle-même mais qui ressurgit dans la découverte de la personne qu'elle est quand elle n'est plus vouée uniquement aux autres. Des rencontres, des amours, du travail, des retours dans la famille puis de nouveaux départs, tout ce qui constitue le parcours d'une vie se construisant, enfin pour soi, hors de l'effrayante famille où tout est si bien naturellement à sa place que le silence domine toute communication.
La narration, malgré quelques tics de répétitions qui
parfois sont bienvenus, parfois lassent, est au plus proche du personnage. Ce
« on » particulier permet une proximité de spectateur, non pas
omniscient, mais qui accède aux scènes comme au théâtre : « On dirait
au contraire qu’elle se redresse. Cela paraît en totale contradiction avec le
geste qu’elle a commis et pourtant, jour après jour, on est forcé de constater
[…]. On a l’impression que… »
Un vrai beau roman, émouvant, où la souffrance recouvre la plus belle aventure : devenir soi, malgré l'absence de ce qui permet normalement de se construire, les mots.
Loïc Di Stefano
Violaine Bérot, Des mots jamais dit, Buchet Chastel, août
2015, 187 pages, 14 eur
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