La petite copiste de Diderot ou Comment l’esprit vient aux femmes

Marie est une jeune orpheline, provinciale du plateau de Langres. Elle a appris à lire dans La Princesse de Clèves. « Est-ce une lecture de son âge ? », se demande son éducateur – abbé –, le livre étant l’un des plus puissants moyens dont le Diable se sert pour corrompre les esprits. La jouvencelle est recommandée à la famille Diderot – le père est coutelier à Langres, le fils écrivain renommé à Paris. L’auteur de La Promenade du sceptique garde prudemment un double de ses écrits, il recherche une copiste. Marie quitte sa province, le philosophe l’engage. Culottée, la demoiselle ! Aucune femme, jusque là, n’a osé travailler aux côtés de cet original parfumé au soufre.

 

Entre deux tasses de café au Procope et un séjour au donjon de Vincennes, l’écrivain a jeté en 1751 une boule de feu dans un champ de paille : L’Encyclopédie. Le philosophe est un propagateur d’idées nouvelles – le bonheur, la primauté de la Raison sur la foi, les Lumières face à l’obscurantisme. Louis XV promet les galères ou la mort aux promoteurs d’idées tendancieuses. L’Europe est encore sous l’empire du goupillon, les aveugles qui ne veulent pas voir tiennent le monde. La bataille de l’Encyclopédie fait rage : Diderot lutte contre les libraires qui tirent leurs marrons du feu et les dévots qui veulent l’éteindre. Marie se trouble, craignant de perdre son âme à la lecture des articles en -isme – rationalisme, matérialisme, relativisme, scepticisme, sensualisme, déisme, qui s’écrivent sous ses yeux, ces croyances nouvelles  débouchant toutes sur athéisme.

 

Diderot, Pygmalion en robe de chambre, éveille la conscience d’une apprentie qu’il introduit dans les salons où l’on croise madame d’Epinay, D'Alembert, le baron d’Holbach, qui piétinent les préjugés et déniaisent la jeune fille. L’époque croit dur comme fer à l’hystérie – la femme n’entend rien aux subtilités de la Raison. Les libertins, eux, sont persuadés du contraire. Et heureusement pour elle. Diderot embarque sa protégée au Salon du Louvre, se pâmant devant les toiles de Chardin qui sait créer l’illusion du vrai et tromper les yeux. Intelligent, Diderot n’en est pas moins sensuel, il folâtre, rédigeant les plus belles lettres d’amour destinées aux femmes – Sophie Volland en l’occurrence –, foi de copiste. Décidément, la petite secrétaire s’ébouriffe, sa vision du monde s’élargit.  

   

Un beau jour, Diderot et sa suivante croisent l’abbé Galiani, auteur des Dialogues sur le commerce du blé. Cet homme d’église aux idées larges, amateur de femmes, initie le penseur à l’économie politique et courtise la demoiselle. Marie, devenue Félicité, est bouleversée par La NouvelleHéloïse de Rousseau. La paysanne pervertie jette sa gourme. Peu à peu, elle se laisse séduire par Diderot, qui a gardé une grande fraîcheur malgré les années et dont l’intelligence la subjugue. Entre deux marivaudages, il suggère à la petite copiste de se jeter dans la mêlée en rédigeant un article. Une femme au sein de l’Encyclopédie, diantre !

 

Ce roman d’éducation est un hymne à la femme. La liseuse de Fragonard, qui illustre la couverture, comme les aventures de la petite copiste respire le bonheur. Danielle Digne, d’un jeu de pinceau vif et rigoureux, tout en légèreté, livre le portrait d’une jeune femme qui s’ouvre au monde et à qui vient l’esprit. L’histoire, sans doute inventée pour notre bonheur, n’en est pas moins vraie. Comme vous le savez, le conteur n’est pas tenu d’imiter la réalité, mais d’être gai, original, voire extravagant pour nous divertir, écrit l’auteur en citant un apologue de Galiani. Pari tenu ! On y croit et on redemande.

 

Frédéric Chef

 

Danielle Digne, La petite copiste de Diderot, Le Passage, octobre 2013, 256 pages, 19 €

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