Nadejda Mandelstam, la femme d'Ossip, raconte : Contre tout espoir

Après un premier volume, Souvenirs (Tel n°388) qui confirma la place prépondérante d’Ossip Mandelstam dans le panthéon de la poésie et décrivit les quatre dernières années de sa vie, voici les prémices. Récit des années galères au lendemain de la Révolution bolchevique. Rédigé en 1964 par sa veuve, on plonge à une époque où le mot d’ordre fondamental est sauve qui peut. Exit donc la personnalité. Même si elle et liée aux hommes. Vivant au milieu d’eux, prenant conscience du fait qu’elle est unique. Les poussant alors à s’individualiser. Un crime sous l’ère soviétique. Être un intellectuel, un poète en ces temps d’infortune devient impossible.
L’exil s’impose.
1920, Ossip vend tout ce qu’il a, c’est-à-dire presque rien sinon une collection de tapis. Direction la Géorgie. Dépaysement total : ils avaient quitté un pays déshérité pour une contrée riche et indifférente où les gens affichaient une joyeuse nonchalance. Un climat propice, du vin en vente libre pour le prix d’un morceau de pain.
Quand à Moscou il fallait mendier l’aide américaine…

L’errance toujours car ils ne savaient où aller, et le couple Mandelstam fêta la venue de l’année 1922 en rade de Soukhoumi. La guerre civile avait détruit les hommes et leurs compagnons d’infortune étaient demi ivres et demi fous…

 

 

Ossip, pas plus qu’un autre, n’aspirait à devenir le maître de l’univers. Pourtant sa poésie transformait ceux qui l’écoutaient. Il se distingue surtout par une conscience aigüe de sa culpabilité. D’autant que ce XXe siècle vit l’abolition du pêché.
Akhmatova parlait de son pêché et son impuissance. Mandelstam considérait comme son seul mérite de ne pas avoir versé de sang.

Les années 1930 virent le couple se poser à Moscou. Avec des allers-retours incessants à Saint-Pétersbourg, ville natale d’Ossip, à laquelle il légua son ombre :

 

Ainsi mon ombre ronge de ses yeux
Le granit granuleux,
Et voici la nuit des blocs de pierre
Qui le jour ont l’aspect de maisons.


Saint-Pétersbourg était la plaie de Mandelstam, sa poésie et son mutisme.

Ces deux ouvrages ne constituent pas seulement le commentaire le plus autorisé sur les années les plus dramatiques et les plus fécondes du plus grand poète russe du 20e siècle. Sans jamais parler d’elle, Nadejda Mandelstam décrit d’une manière exceptionnelle ce qui va devenir le plus important témoignage de l’asphyxie de la culture russe due à la prise de pouvoir de Staline.
On peut aussi aborder la lecture par le prisme d’une présentation complète de la vie et l’œuvre du poète.

L’intérêt du tome III réside dans l’exposé de l’art poétique de Mandelstam. Suivi de l’analyse de ses poèmes dans l’étude approfondie de leur gestation. Avec en point d’orgue le Bruit du temps. On suit aussi avec malice les relations entre Mandelstam et Marina Tsvétaïéva. Ainsi que sa première rencontre avec Akhmatova. De maints autres écrivains contemporains.
Et de son approche de la philosophie de Vladimir Soloviev.

 

Annabelle Hautecontre

 

Nadejda Mandelstam, Contre tout espoir – Souvenirs II et III, coll. "Tel", n°400 et 401, Gallimard, mai 2013, 378 p. et 406 p. – 16,50 € et 17,00 €

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3 commentaires

Excellent article sur un des plus grands poètes du XXe siècle... (trouve-t-on encore le merveilleux volume des œuvres de Mandelstam, publié autrefois par La Dogana ?)

A priori La Dagona a toujours à son catalogue, comme indiqué ci-dessous


Ossip E. Mandelstam
ENTRETIEN SUR DANTE précédé de LA PELISSE

(Traduit du russe par Jean-Claude Schneider, 
préface de Florian Rodari)
96 pages (1989, réédition 2012)
ISBN 2-940055-31-9   CHF 25.- / 18 €

Première prose de Mandelstam, La Pelisse contient en germe toutes les qualités qui feront le prix de ses meilleures réussites dans ce genre, Le Timbre égyptien, Le Bruit du temps, La Quatrième Prose. Quant à l’essai sur Dante, ce n’est pas seulement la plus brillante approche de Mandelstam dans le domaine critique, mais c’est surtout l’un des plus émouvants hommages de poète à poète à travers les siècles.

Merci, Loïc ! A dire vrai, je cherche plutôt les poèmes parus vers 1982-1985..., mais l'Entretien sur Dante est lui aussi fort intéressant.