Du côté de chez Proust

L’ère des commémorations va s’ouvrir. Marcel Proust, né en juillet 1871, mort en novembre 1922, s’apprête à entrer de plain-pied dans l’actualité. À vrai dire, il n’en a jamais vraiment disparu. Si on jette un œil sur les ouvrages à lui consacrés, gloses, essais, dictionnaires, nomenclatures diverses, hommages, exégèses de toutes sortes, on mesure la place qu’il occupe dans la littérature française. Son œuvre monumentale depuis Les Plaisirs et les Jours jusqu’A La Recherche du Temps perdu est à juste titre considérée comme l’une des plus importantes du vingtième siècle. Au point qu’il n’est pas exagéré de dire qu’il a, au même titre que Céline, mais dans un tout autre registre, révolutionné l’art du roman.

Or, il est difficile d’évoquer l’œuvre de Marcel Proust sans penser à celui qui, plus que quiconque, contribua à la révéler et à en faire connaître toutes les subtilités dès la fin des années 50, Bernard de Fallois (1926-2018). Le nom de ce dernier fait immédiatement penser à l’éditeur fameux de Marcel Pagnol et de tant d’autres écrivains de valeur. Parmi ces derniers, Robert Merle, Hubert Monteilhet, Françoise Chandernagor ou Jacqueline de Romilly et, pour finir, Joël Dicker dont les romans connurent et connaissent toujours un grand succès. Une liste qui est loin d’être exhaustive. Elle témoigne de la variété de ses goûts littéraires et de sa curiosité en la matière. Des qualités plutôt mal partagées dans le milieu éditorial…

En ce qui concerne Proust, Bernard de Fallois fit œuvre de pionnier, dirigeant la publication des manuscrits tels Jean Santeuil (demeuré inachevé) en 1952, ou, deux ans plus tard, des fragments rassemblés dans Contre Sainte-Beuve – un titre qu’il avait lui-même imaginéDes ouvrages qui ont largement contribué à donner de Proust une autre image que celle d’un auteur mondain et superficiel jusque là véhiculée. Quant au souci de Fallois d’expliquer l’auteur de La Recherche en lui consacrant ouvrages et conférences, il procède d’une même volonté : remettre Proust « à la hauteur de Montaigne, de Molière, de Chateaubriand », comme l’a écrit Nathalie Mauriac Dyer, dans un article, « L’Histoire d’un roman est un roman », de la revue Genesis. Une interview que Fallois lui avait accordée en 2013. 

C’est du reste à cette dernière qu’est emprunté le titre d’un volume, Bernard de Fallois, le proustien capital, dû à une heureuse initiative de son successeur, Dominique GoustL’affirmation de Nathalie Mauriac Dyer est, du reste, corroborée à l’heure actuelle, par maints esprits éminents. Elle renvoie à son inanité aussi péremptoire que prétentieuse l’affirmation de Jean-Paul Sartre selon laquelle nous étions « enfin débarrassés de Proust »…

Partant, donc, de l’interview accordée en 2013, la présente plaquette retrace l’itinéraire qui a conduit son « inventeur » et exégète à donner à l’auteur des Pastiches et Mélanges sa véritable dimension. Jusqu’à la publication toute récente des Soixante-quinze Feuillets, manuscrits demeurés jusqu’ici inédits et dont Bernard de Fallois avait révélé l’existence il y a plus de soixante ans. Toute la lumière est faite sur l’apport de ces inédits et leur importance pour la connaissance de l’œuvre tout entière.

Cet itinéraire, illustré de nombreux extraits empruntés tant aux écrits proustiens qu’aux préfaces et autres gloses de leur commentateur, le lecteur est convié à le suivre pas à pas. Rien de plus passionnant que d’assister à l’édification d’un tel monument, sans la moindre complaisance, la moindre facilité. Un seul souci, aider le lecteur à mieux comprendre La Recherche. Ainsi, la publication d’inédits ne fut jamais, pour le « proustien capital », la quête d’un scoop médiatique. L’exploration de ses archives le confirme : l’exhumation des manuscrits retrouvés s’est toujours accompagnée d’un approfondissement dans la connaissance et l’étude de l’œuvre déjà publiée. En quoi se dessine, au fil des pages, une constante probité. Et une modestie exemplaire. 

Tel apparaît Bernard de Fallois. Une bibliographie chronologique et détaillée de son œuvre permet de mesurer l’importance de celle-ci pour la connaissance et la compréhension de « son écrivain de chevet » – l’expression est de Pierre Assouline. D’apprécier aussi à sa juste valeur la fidélité de son successeur à la tête des éditions qui portent toujours son nom. Ce livre, qui n’est pas destiné à la vente, mais se trouve accessible et téléchargeable sur le Net, ravira à la fois les admirateurs de Proust et ceux de Bernard de Fallois. Il est vrai que ce sont souvent les mêmes…

Jacques Aboucaya

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