Écrivain français (1925-1971) dont l'œuvre est marquée par le mysticisme, l'aventure et un engagement proche de la folie

La chasse fantasique ou la littérature du dernier homme par François Augiéras

Une quête d'infini qui conduit le dernier des hommes, sur les ruines du monde ancien, à la rencontre de lui-même par le contact magique de l'autre, adolescent magnifique qui représente pour Augiéras toutes les forces et les beautés du monde.


« Prière à la vie » comme le dit pudiquement Paul Placet dans cette seconde préface à l'oeuvre inachevée de son ami (1), La Chasse fantastique a un statut à part dans l'oeuvre elle-même à part de François Augiéras. Mais à force de réédition et de ferveur (2), Augiéras sortira définitivement de ce statut abscons de semi inconnu et sera lu. Belle introduction à cette littérature exigeante, La Chasse fantastique est commencée par deux amis de coeur, sous le soleil africain, émus par un paysage sauvage de Génèse, mais vite Paul Placet se laisse mener par un François Augiéras endiablé, et c'est la Vézère et les falaises du Périgord noir qui apparaissent à l'esprit et le combat d'un survivant avec le monde, comme Flaubert voyant Madame Bovary en Egypte, comme Gauguin voyant des petits villages bretons aux îles Marquises... Bientôt, l'écriture échappe tout à fait à Placet, s'empare d'Augiéras, l'épuise et le rejette à d'autres lieux. Les cahiers seront éparpillés, retrouvés, le souffle depuis longtemps laissé libre de s'évaporer dans l'Esprit du monde. Ce n'est pas un projet mûrement pesé, comme le miraculeux Voyage au Mont Athos, mais une danse frénétique du génie de l'homme avec lui-même.


Pourtant, les fragments qui subsistent et forment le récit d'une rencontre amoureuse entre l'Homme et l'éphèbe, sont d'une écriture poétique sensuelle et toute altière, sans compromission avec la langue commune.


Inachevée, La Chasse fantastique est un miroir qu'Augiéras se tend à lui-même, plus violemment que d'habitude, et par lequel il voit le monde tel qu'en son fantasme. Les thèmes reviennent, les lecteurs d'Augiéras retrouvent Dome ou l'essai d'occupation, retrouve Le Voyage des Morts, mais avec une distance moindre entre le fantasme et l'écriture, comme un témoignage qui ne serait jamais destiné à être lu (3). La fin du monde a eu lieu, un homme survit, troglodyte, s'organisant sur les ruines du temps passé : il glane son butin dans les maisons dévastées, récolte son blé, domine le monde. Rien ne lui fait défaut, jusqu'à la rencontre de celui qu'il cherchait au fond de lui comme un frère, un maître, et qui sera la marque des temps nouveaux :


« Il y avait en lui la perfection du nouveau monde que je voyais naître sur les ruines d'un passé révolu, une virginité et probablement une intelligence inconnue, un étrange sourire. Alors que la Destruction m'avait vieilli tout d'un coup, bien avant la trentaine, cet adolescent semblait la vie renaissante parfaitement intacte, riche de sèves. Il méritait qu'on l'adorât comme un dieu. De fait, après le temps des hommes je ne savais plus où commençait, où finissait le divin. »


Le statut de l'inachèvement n'ôte rien au magnifique de ce court récit, tant par la langue que par les thèmes plus nets qui reprennent sans le voile du romancé les « figures obsédantes  » d'Augiéras et forment même, pour ainsi dire, une belle introduction à son travail d'écrivain. La vie et la mort s'affrontent par l'image des deux hommes, luttant l'un avec l'autre, l'un avec le désir de l'autre - désir d'être l'autre aussi bien - qui souvent ne forment qu'un même être surréel. Le jeune brave l'ancien par sa force, sa beauté, lui offre ce qu'il n'est plus et ce qu'il a rêvé d'être, s'offre lui-même comme un amant idéal, qu'il faut apprivoiser assez pour carresser mais laisser sauvage encore pour jouir tout à fait de son commerce.


Augiéras n'est pas de son temps. Cette chasse n'est vouée qu'à le trouver lui-même. Il faut louer le travail des éditions La Différence qui rendent accessible en format de poche cette œuvre magique, même si le cahier central d'illustrations n'est pas légendé.


Loïc Di Stefano


(1) Ce récit a déjà connu deux publications, et deux préfaces de Paul Placet, la seconde à notre avis la meilleure pour les éditions Novelté (1996) aujourd'hui disparues. Il eût été utile au plus grand nombre de relire ces pages écrites pour la découverte réelle de l'écrivain aujourd'hui un peu mieux connu mais toujours à découvrir. 


(2) Pour la ferveur, voir l'Association Augiéras


(3) C'est une vérité commune aux œuvres dont la finalité était exutoire et qui ne devaient jamais être terminées.


François Augiéras, La Chasse fantastique, préface de Paul Placet, La Différence, « Minos », mars 2005, 78 pages, 6 euros

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