Sauver les meubles.

A trente deux ans, le narrateur, un photographe qui n’a jusqu’alors jamais gagné sa vie se résout à travailler pour une entreprise de meubles aux noms aussi imprononçables qu’impossibles à monter.
Il ne s’attend pas à grand chose et il n’est pas déçu : il est juste question de réaliser les photos les plus plates pour faire vendre les lits ou les canapés. Dans un décor de fausse neige en plein mois d’août, il doit donner envie aux potentiels acheteurs de ressembler à la famille parfaite en choisissant les objets présentés.
Le travail n’est pas désagréable, juste inepte et aseptisé : "Ce qui me manque le plus, c’est la chambre noire. L’odeur discrète des bains révélateurs, le silence, l’obscurité".
Entre ses journées vides de sens, ses nuits tristes, passées sur internet à dialoguer en ligne avec des inconnues, il s’ennuie ferme.
Un jour, un de ses collègues lui propose de travailler pour le site pornographique qu’il crée avec un argument imparable : "Tu dirigeras les séances, tu as carte blanche".

Dans un décor de centres commerciaux, d’entrepôts de magasins de matelas, de grills à volonté, le photographe voit soudain : « tout un univers qui s’ouvre, un terrain de jeu qu’on m’offre »…mais il ne faut pas être grand clerc pour imaginer qu’avec des acteurs s’appelant Brunette, Blondie ou Mastar, il va très vite perdre pied, ne pas tarder à mélanger les monde du meuble et celui du porno et plonger encore un peu plus dans sa propre estime de lui-même.

Dans un roman à l’humour très second degré, Céline Zufferey offre une critique caustique de la société de consommation dans laquelle l’option la plus aboutie du marketing est de vendre non plus des objets, mais le bonheur subliminal que leur achat induit.
Elle décrit la descente aux enfers d’un créateur (qui pour payer la maison de retraite de son père, qu'il n'aime pas) doit accepter de se ranger et pour continuer de croire en ses rêves d’artiste trouve la pire solution qui soit : participer à l’exploitation ultime de l'être humain, le porno.
Se glissant avec bonheur dans la peau d’un homme, l’auteur offre une fable caustique sur le monde contemporain.

Brigit Bontour

Céline Zufferey, Sauver les meubles, Gallimard, août 2017, 226p., 19 euros

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