Ambivalences et ambiguités : Daniel Birnbaum

Labyrinthique et contradictoire, Dr B est le roman presque vrai de ce qu'a vécu le grand-père  de l'auteur, en Suède au moment de la guerre.
Le petit-fils a trouvé dans un grenier de Stockholm des documents lui ayant appartenu et à travers lesquels il tente de reconstituer qui il fut. tant réfugié en Suède pour fuir les nazis, fils du chantre de la synagogue de Königsberg et converti au protestantisme, il est bien difficile au petit fils de reconstituer une existence toute empreinte d'un double jeu.
Fut-il résistant, espion ou simplement journaliste manipulé ?  L'auteur ne le dit pas. Pas plus qu'il signifie où s'arrête le factuel historique et où commence la fiction.

Mais c'est bien ce qui rend ce roman si fascinant. Cassant le système de narration par divers types de décadrages et parfois de pièces rapportées, Daniel Birnbaum crée un nouveau regard entre le familier et l’inconnu en puisant dans la masse des documents qu'il a découverts.
L’ostentation programmée de certaines positions du Dr. B soulève bien des questions auxquelles le romancier ne prétend pas donner de réponses. Les déguisements du grand-père prouvent son gout certain pour le double-jeu : d'un côté il aide les espions anglais de l'autre il fait transiter à des correspondants allemands les plans britanniques pour faire sauter le port d'Oxelösund.

Restent donc dans cette fiction des signes de failles. Les preuves rapportées font entrer le texte dans le territoire du doute là où bien des créatures équivoques se rencontrent et se toisent entre lumière et obscurité, dédain et bienveillance. Les tromperies sont toujours de mises dans un processus de trouble des informations.
Les femmes fomentent parfois des extases négatives et bien des hypothèses déraillent. Et en ce sens, le roman n'émerge pas forcément très loin de son statut – au demeurant plaisant voire sidérant dans ce cas d'espèce – de machine à fabriquer du fantasme ou d’écrin à hantises.
Mais il devient surtout une enveloppe où se cachent d’autres secrets que ceux qu’imaginait le narrateur. Il doit en fin de course préciser son rôle : Plus j'ai essayé de saisir les évènements moins j'ai été sûr que l'on puisse les voir de façon manichéenne.

Et au besoin, du bien et du mal l'auteur inverse les effluves en tant que contre feu face aux apparences. Le roman demeure en conséquence celui de la flexibilité et de la subtilité. La "désidération" y change d’objectif. Car la fiction n’est plus un moyen de rêver la vie mais de provoquer un élargissement de la préhension du réel.
Comme dans le Portrait ovale de Poe, si la vie passe intégralement de la réalité à la fiction, et le modèle à sa romantisation ni l’une ni l’autre sont, à la fin, laissées pour "mortes". Et ce dans une rétrospective où une exhibition nouvelle a lieu : à tout un chacun d'en retirer sa propre interprétation.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Daniel Birnbaum, Dr. B, traduit du suédois par Olivier Gouchet, Gallimard, coll. Hors série Littérature, février 201, 334 p.-, 22 €
Lire les premières pages...

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.