René Blum, l'oublié

Tiens, tiens, serions-nous face au premier scandale éditorial 2.0 ? Aurélien Cressely a-t-il réellement écrit ce roman ? Ou s’est-il fait aider par ChatGPT ? La question mérite d’être posée. Dès la troisième ligne, on est confronté à une grosse faute. Puis on découvre l’emploi d’un mot pour un autre, etc. Ou alors il n’y a plus d’éditeur digne de ce nom ? Plus de relectures, de corrections, de bon à tirer validé par l’auteur, etc. Dans tous les cas, il y a un problème.
Reprenons :

  • (p. 13) Les trois hommes qui lui faisaient face, ils étaient tels qu’il les avait imaginés […] alors, de mémoire, je crois que c’est en CM2 que j’ai appris qu’il ne peut y avoir deux sujets pour un même verbe. Même si ici il y en a deux,  l’esprit de la règle est bien celle-ci. Il n’y a donc que deux manières de l’écrire correctement : soit Les trois hommes qui lui faisaient face étaient tels… ou Les trois hommes lui faisaient face, ils étaient tels…
  • (p. 51) J’imagine bien, lui répondit Pierre avec son petit air narquois qui poursuivit presque sans interruption. Eh bien… C’est bien un coïtus interruptus que l’on subit (sic) : soit c’est qu’il poursuivit soit il manque quelque chose après interruption !
  • (p. 54) Antoine faisait de même avec de Nion. Encore une fois la règle de la particule est simple : soit on dit avec François de Nion soit on dit avec Nion mais jamais la particule sans monsieur ou un prénom avant… cela aussi s’apprend en troisième !
  • (p. 116) […] et de défendre toute sa vie une justice sociale dont il n’avait jamais vraiment été victime mais se sentait responsable. On n’est pas victime d’une justice mais d’une injustice ! Ce monde marche réellement sur la tête. On dit tout et son contraire. Ainsi, après avoir entendu « Il a une chance d’attraper la Covid » (depuis quand est-ce une chance d’être malade ?! Il faut dire « Il risque d'attraper la Covid ») voilà que la dernière pub pour l’Espace Renault nous propose une voiture de 7 à 5 places (en lieu et place d’une voiture de 5 à 7 places). Est-ce l’écriture inclusive qui rend idiot ou les heures passées à mirer son téléphone ?

Une fois ces impardonnables boulettes oubliées, on plonge dans un drôle de roman établit sur deux époques : la vie de René Blum avant, sa vie de captif après. Une fois arrêté lors d'une énième rafle. Et l’on devine que l’on vient de passer à côté de ce qui aurait pu, aurait dû être un grand roman. Or l’ombre maléfique de la Mémoire est venue pervertir l’architecture du livre. Anne Sinclair, remerciée à la fin, devrait, comme ceux de sa génération, savoir tirer le rideau. Et arrêter de piloter ici et là des auteurs avec pour mission de ressasser encore et encore les poncifs. Pétain-salaud (vieillard sénile empressé de brader la France ; mais pauvre pomme sans Pétain quid de la zone-libre, donc de la Résistance, sans Pétain qui pour signer l’armistice puisque personne n’avait le courage de se dresser face à Hitler pour que cesse le carnage ?!). La Shoah (mis à part les habitants de Mars, je pense que tout le monde a bien compris et assimilé la leçon). Le devoir de mémoire. Car cela détruit le propos, le rythme du livre, le plaisir de lecture.
Ô combien ce roman aurait été instructif, brûlant, passionnant, érudit, courageux s’il s’était centré sur l’œuvre artistique de René Blum. Et seulement. Suivie dans sa chronologie avec, à l’ultime fin, la phrase finale : l’arrestation. D'où une mise en abîme de la déportation. La bascule dans l’horreur absolue. Laissant le lecteur pétrifié. Coup de poing dans l’estomac. Livré seul à sa réflexion, à sa mémoire, à son imagination pour visualiser la fin. C’est dans la suggestion que la littérature est la plus forte, pas dans la démonstration facile d’un catalogue des atrocités. Aurélien Cressely doit s’émanciper de ses protecteurs et écrire le roman qui lui convient sans influence aucune…

Annabelle Hautecontre

Aurélien Cressely, Par-delà l’oubli, Gallimard, août 2023, 160 p.-, 18,50 €
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