Lydia Goldblatt, surface peau et condition humaine

Le travail de Lydia Goldblatt se distingue par l’affinité intuitive qui relie la photographe et la peau. Pas n’importe quelle peau.
Nous  n’abordons  plus l’art à travers une surface lisse, rassurante mais ce qu’il en reste. L'artiste montre la peau vieillie, au derme fatigué, marqué et touché par l'approche de la mort. Rien pourtant de l'ordre de l'exhibition macabre au moment où -souvent de très gros plan - la psychologisation s'efface au profit d'une réflexion sur l'existence. Il y a là implicitement aussi une méditation  sur l'Histoire : la Shoah est suggérée. Ces "peaux" et ces "peaurtraits" plongent dans l’impasse dont l'être n'est pas ou jamais sorti. Sur ce qu’elles  inséminent il existe des seuils, mais plus vraiment de visibilité. De telles prises  n'indiquent plus de passage vers le fantasme ou son reflet imité. L’image ne fait pas de douceur. Elle ne sauve pas, elle annonce une fin limite. Bref l’image devient la nuit  qui nous attend.


Soudain la surface échappe, nous nous immisçons  en ce qu'il en reste et qui appartient à l'ordre de tache.  Cette surface devient une peau pendue, elle est la forme d’un ailleurs, si proche et si étrange à la fois.  Elle est l’autre que nous ne pouvons oublier. Elle est la douleur muette, le monde. L'effet mimétique ne ramène pas un même mais le même en "devenir" (si l'on peut dire). Démembrant le corps par effet de gros plans la photographie neutralise son identité. Toutefois le regardeur s’accroche à ce qui reste. Il est contraint d'avancer dans ce livre d'un une peau "morte" à une autre peau "morte". Chaque vestige trame un tissu précaire : le derme semble céder. Mais sa presque disparition, sa quasi abstraction  évoquent quelque chose de l'existence, de la vie. Elle vibre encore et nourrit en l'être  d'une vérité qu'il faut affronter.  


Demeure en conséquence dans "Still Life" un acte de puissance face à un temps provisoirement suspendu. De telles photographies sont en ce sens proches de la Vanité.  L'anatomie donne à voir les blessures de l'être de la manière la plus pudique mais puissante qui soit. Elle représente le drame de la vie dans une intensité d'exception.  Lydia Goldblatt "enseigne" comment il faut aller chercher chaque fois un peu plus loin la surface. Fruit d'une immense fatigue, comme si elle retournait à la mort la peau devient le paradigme dévasté, détendu, distordu. L'œuvre propose le trépas de l’image "neos" au profit l’apparition d’une autre image plus naïve et sourde qui ne retranche rien de l'affolement muet d'où elle sort. Elle n'ajoute rien. Mais ne retranche pas plus. Il ne s’agit plus d’un seuil de recouvrement ou un placebo iconographique viendrait nous faire du bien.  Sur une telle image-peau le silence se fait. S'y poursuit malgré tout le fantôme d'une histoire engoncée parmi ses ombres appesanties. Pouvons-nous supporter une telle confrontation ?  Peut-elle nous laisser indemne ?

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Lydia Golblatt, « Still Here », Hatje Cantz, Ostsfirden (Allemagne), 2013, 92 pages, 28 €

 

 

 

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