Corot & la nature humaine : de l’intime à la fantaisie

Le catalogue officiel de l’exposition Corot, le peintre et ses modèles qui se tient au musée Marmottan Monet, à Paris jusqu’au 8 juillet 2018, aborde plusieurs pans de l’œuvre du peintre, et s’attaque surtout à démystifier l’idée reçue que Corot ferait toujours le même tableau, usant et abusant des mêmes figures quand il s’agit, au contraire, d’une variation sur un nombre limité de thèmes qui combinent à l’infini le modèle et l’accessoire (livre, luth, tambourin, costume, etc.) pour constituer un univers propre à l’artiste.

C’est au salon d’automne de 1909 que le grand public put découvrir avec stupéfaction l’autre pan de l’œuvre de Corot disparu trente-quatre ans plus tôt : vingt-trois tableaux extraits des réserves de Durand-Rueil et Bernheim-Jeune firent l’effet d’une bombe. On ignorait ce talent de figuristes, pour reprendre l’expression de Pierre Goujon (Gazette des Beaux-Arts), et le public s’enthousiasma de concert avec Braque et Picasso. Une nouvelle passion s’empara des collectionneurs…
Comme les courants de mode s’avèrent ridicules avec le recul : lors de la première présentation de son Paysage avec figures Maurice Aubert lui reprocha la présence de ces personnages quand quatre ans plus tard Le déjeuner sur l’herbe de Manet va bousculer définitivement les limites du cadre et chambouler tous les canons et inventant le modernisme.

Corot se singularise par ses figures : s’il rechignait à montrer ses modèles de son vivant, ses paysages, par contre, s’exposaient mais là encore, dans sa composition d’un panorama c’est la figure qui en est le catalyseur. Epousant l’idée du modernisme, tout en maintenant le fil de l’idéal, il demeure chez le paysagiste Corot cette figure qui ennoblit le genre tout en posant la question du modèle. Quand Delacroix interroge l’inspiration, Corot affronte le problème de l’imagination, dans sa double acceptation, descriptive et créatrice…

Mais devant tous ces portraits, ces figures, il arrive que le regardeur finisse par être perplexe : comment qualifier ces œuvres car Corot transcende les genres et les catégories. Certains y voient une peinture poétique d’autres une absence de technique, le flou et le vaporeux est parfois mal interprété comme le fit Ernst Hache à propos de la Liseuse dans la campagne, oubliant que la marque de fabrique de Corot est, justement, cette indécision du pinceau.

Si le musée Marmottan Monet lui consacre cette exposition c’est aussi parce qu’il fut le maître de Berthe Morisot, interdite aux Beaux-arts qui n’avaient pas encore fait leur révolution symbolique de Mai-68, laquelle devint cependant l’artiste que l’on connaît (à l’origine de l’impressionnisme) et dont le musée conserve le premier fonds mondial.
Corot fut donc un homme épris de liberté, féministe avant l’heure, voulant par ses figures offrir cette possibilité d’un possible différend, s’octroyant alors, dans le sillon de Manet ou de Degas, cette autonomie du langage pictural, avec la part de réalisme que cela implique. Parfois semblant coincé à la croisée des chemins, comme d’ailleurs Delacroix, tiraillé entre la peinture classique et les possibilités offertes par les audaces de ces romantiques qui défrayent la chronique.

Ses chefs-d’œuvre des années 1870 ne doivent pas faire oublier que, s’ils n’ouvrent pas littéralement une voie nouvelle, ils participent néanmoins grandement aux innovations d’un modernisme naissant, par sa patte originale et discrète.

 

François Xavier

 

Sébastien Allard, Corot, le peintre et ses modèles, bilingue français-anglais, préface de Patrick de Carolis 220 x 285, broché avec rabats, 90 illustrations, Hazan, février 2018, 192 p. –, 29 €

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