Pierre Bonnard, de la couleur vers la lumière

L’historien d’art Georges Roque, qui a étudié notamment l’art et la science de la couleur, a consacré à Pierre Bonnard un de ses ouvrages, paru en 2006, dont le titre en proposant trois axes de réflexion permet d’aborder sinon de comprendre la peinture de ce grand artiste, La stratégie de Bonnard. Couleur, lumière, regard.
Des termes qui rejoignent, exprimée sous une autre forme, la pensée de Bonnard (1867-1947) qui écrivait que la beauté c’est la satisfaction de la vision, et la vision est satisfaite par la simplicité et l’ordre. Beauté, ordre, vision, trois fondements pour Bonnard.
Voir ses œuvres, c’est accéder à une peinture qui n’est en rien légère ni facile ni seulement intimiste, ni même limité au bonheur quotidien à lire quelques critiques rapides, mais aérienne, travaillée, concentrée, loin de toute emphase pour s’ajuster le plus possible à deux fondements de sa manière, essentiels pour lui, le lieu et l’instant.
D’abord le lieu, resserré, recadré, pris comme seul sujet autour duquel tout s’agrège, que ce soit un coin de jardin, la loge de l’Opéra, une vue du Midi où la végétation explose dans ses floraisons, une salle à manger, bien sûr la salle de bains au moment de la toilette de Marthe, un thème traité et repris non sans l’ambiguïté du respect et du désir associés. Ensuite, l’instant, quand tout concoure à créer un point de beauté selon ses mots, au plus haut du temps qui passe et s’efface, l’heure furtive du contre-jour, le ciel d’orage qui approche, les mouvements incessants de la mer vue du débarcadère de Cannes, qu’il rend par une infinité de touches presque indécises.
Le spectateur de ces espaces restreints et de ces durées ramenées à l’intime qui signent la facture de ses tableaux et les constituent s’approche d’un univers clos qui s’ouvre devant lui et le séduit.

Réunissant près d’une soixantaine de toiles, ce coffret explore au plus près la production allant des années 1890 à 1947. Les harmonies générales autant que les détails apparaissent ainsi dans les meilleures conditions, permettant au lecteur d’entrer dans le travail de Bonnard, d’en voir la délicatesse, l’amplitude acquise à partir d’un élément souvent ténu, comme le faisait Proust qui prenait un objet pour ainsi dire banal et le magnifiait jusqu’à lui donner une dimension seconde.
Les présentant et les analysant une à une, l’auteure montre combien progressivement, à sa façon de considérer le réel, se l’approprier, le garder à distance, de reconstruire une scène en échappant aux règles de la perspective, Bonnard atteint une sorte d’absolu, parvenant à imposer sa vision du monde, intérieur comme extérieur.

Il y a un style résolument propre à Bonnard en ce sens qu'il touche à l'humain, une admirable leçon d’amour à la nature et à la vie pour reprendre les mots de René Huyghe. Toutes les illustrations de l’ouvrage le confirment. Critiqué par certains défenseurs d’un modernisme sans nuances, Bonnard est manifestement ce symphoniste comme disait Georges Braque, développant ses thèmes, rêvant et nous faisant rêver, emmenant, promenant et ramenant l’œil à son propos initial.
Comme dans Le Raidillon au Cannet, (huile sur toile de 1945), où, grâce à une succession de vibrations se relayant et de multiples tonalités qui se fondent et se mettent en valeur, du jaune au bleu, de l’orange au brun, il excelle à créer une impression de montée ou de descente, d’étroitesse qui débouche sur un vaste panorama, de surplomb des maisons au loin, invitant à un parcours sans rupture, aussi agréable dans un sens que dans l’autre, le regard passant de la couleur à plus grand qu’elle, la lumière.
Voilà pourquoi ses tableaux nous accompagnent. Quand un artiste réussit peu à peu à tout rassembler en un ensemble cohérent, ses sujets, sa technique, sa gamme de couleurs ses compositions, ses angles de vue et ses audaces, alors tous ses tableaux en viennent à s’ancrer en nous écrit justement Valérie Mettais.

Dominique Vergnon

Valérie Mettais, Bonnard, coffret l’essentiel, 177 illustrations, 184 x 257, Hazan, octobre 2022, 192 p.-, 35€

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