Un costume rayé d'enfer - témoignage sur la déportation

UN COSTUME RAYE D'ENFERSous un titre quelque peu ironique, Un costume rayé d’enfer est un témoignage sur la déportation et sur le retour à la vie «normale ».

Jean-Pierre Renouard et sa famille se réfugient au début de la guerre dans le sud de la France. Avec son frère Jacques, il rentre en résistance en septembre 1941. Tous les deux sont arrêtés en mai 1944. Ici commence le récit de sa déportation, au camp de regroupement de Compiègne. Des quatre compagnons réunis, lui seul reviendra quelques mois plus tard.

Deuxième étape : le camp de Neuengamme où l’attendent les premières épreuves de la vie concentrationnaire : la pendaison de deux prisonniers, les premières diarrhées, la découverte de l’indifférence de la population allemande face à leur sort. Il décide alors de se séparer de son frère : ils ne se reverront pas car Jacques décède le 31 décembre 1944.


Tu n'as plus de nom, seulement un numéro

Le camp de Misburg est la troisième étape de sa déportation. Avec les autres déportés, il travaille à la réfection d’une raffinerie touchée par les bombardements. Il y apprend les règles qui vont lui permettre de survivre. Ne pas discuter. Se laver tous les jours. Accepter finalement son sort et la deshumanisation de l’univers concentrationnaire. Ce que résume parfaitement cette sentence d’Hermann, chef de sa baraque : « Tu n’as plus de nom, seulement un numéro. C’est par ton numéro que je t’appelle. Tu n’as pas d’avenir non plus. Tu n’as que le présent et il te faut y consacrer toute ton attention […] c’est la seule façon de durée. »

Pourtant, des noms émergent au cours du récit de Renouard, à l’encontre de cette déshumanisation, Figeac, Etoc, Sergio, Bernard Morey. Certains ne reviendront pas et c’est justement pour ne pas les oublier que l’auteur les nomme, les raconte pour laisser une trace.

Renouard raconte aussi l’indifférence de ces Allemands qui savaient, sa découverte du camp de Bergen Belsen où finalement il ne s’étonne pas des corps entassés qu’il doit jeter dans des fosses communes.

La libération, enfin. La surprise, voir l’incompréhension : il est encore vivant. Pourquoi lui et pas ces autres ? Un élément que l’on oublie souvent au sujet des anciens déportés qui paraît paradoxal, celui de la culpabilité d’avoir survécu.

Désapprendre et revenir à la civilisation

Le dernier point abordé par Renouard, finalement à mon sens un des plus important, est : comment redevenir un être humain, aussi bien physiquement que psychologiquement lorsque l’on a été broyé dans la machine concentrationnaire ?

Retrouver une forme humaine. Tout le monde a en tête l’image de ces corps décharnés, accrochés aux barbelés des camps lors de leur libération. Mais après avoir survécus à la sous-alimentation, au typhus, au froid, à l’exténuation, il leur fallait encore survivre à la réalimentation. Il lui faudra 7 mois de maladies, typhoïde, phlébite, pleurésie, embolies pulmonaires pour retrouver une forme humaine. Certaines séquelles resteront à vie comme son insensibilité au froid.

Il faut également réapprendre à se comporter comme un être humain. Les séquelles psychologiques sont énormes comme on peut s’y attendre. Retrouver des repères autres que ceux du camp. Désapprendre l’ordre établi dans le camp. Refaire sa vie.

Renouard assiste à l’émergence du sentiment européen, à la réconciliation franco-allemande. La boucle est bouclée ou presque car ce n’est que 45 ans après que Jean-Pierre Renouard, sur l’insistance de ses enfants, a livré ce témoignage dont la qualité a été reconnue par Maurice Druon qui signe la préface de cette œuvre. Une absence d’artifice, une écriture simple et droite, pleine de pudeur qui œuvre pour le devoir de mémoire.

Julie Lecanu


Jean-Pierre Renouard,  Un costume rayé d'enfer, Pocket, novembre 2008, 153 pages, 5 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.