L'aventure des Normands - Rollon, Guillaume, Robert et les autres
Quel est le point commun entre un chef viking, un
roi danois, Guillaume le Conquérant et Roger II de Sicile ? C’est la question à
laquelle François Neveux, médiéviste et professeur à l’université de Caen tente
de répondre. Dès le prélude, trois épisodes illustrent l’aventure des Normands
du VIIIe au XIIIe siècle.
Des premiers raids vikings à la fondation de la Normandie
Qu’est ce qu’un Normand ? Il s’agit d’abord d’un «homme du Nord» tel que les
désignent les sources occidentales. Cependant à partir du Xe siècle, ce terme
désigne les habitants de la principauté, c’est-à-dire en grande majorité des
Francs. Aussi, «les hommes du Nord» sont-ils désignés par l’auteur par un
terme plus large, celui de scandinaves. Ces peuples, unis par une langue et une
civilisation commune, vont se lancer au début du IX e siècle dans une première
aventure : le mouvement viking.
Il s’agit d’un mouvement de grande ampleur qui va s’étaler sur trois siècles
(IXe-XIe) : il va entraîner d’importants mouvements de population et s’étendre
jusqu’aux confins du monde connu, voir inconnu à l’époque (1). Qu’est ce qui a
pu pousser certains de ces hommes à se lancer dans une telle aventure ? Si la
surpopulation a longtemps été évoquée, la cause fondamentale de ce mouvement vient
de la faiblesse des Etats comme les royaumes francs. Les contacts entre ces
derniers et les peuples scandinaves débutent bien avant les premiers raids :
certains venaient régulièrement y commercer et ont pu constater la faiblesse et
les divisions politiques y régnant. Excellents marins et guerriers, ils ont été
sollicités pour intervenir dans des conflits locaux. Rien de plus normal alors
que de profiter de cette situation pour s’enrichir.
L’invasion
et l’installation se font en trois phases. Les Vikings profitent d’abord du
manque de réaction des Francs pour piller les côtes et les rives des fleuves.
Mais cette méthode a des limites car la population et surtout les abbayes
fuient la menace. Par conséquent, les Vikings mettent en œuvre une deuxième
phase : ils imposent le Danegeld (l’or des Danois), un tribut exigé des
habitants en échange de leur départ. Enfin, la troisième phase correspond à une
prise en main directe des Vikings de ces territoires. Ils créent ainsi autour
entre fin IXe et Xe siècles des Etats vikings : beaucoup cependant n’ont pas
duré, exception faite de la Normandie.
Les incursions dans les royaumes francs, nous l’avons dit, varient en fonction
de la résistance qu’elles rencontrent. Sous Charlemagne et Louis le Pieux, la
résistance est forte. A partir de 840, les guerres civiles entre les
successeurs de ce dernier fragilisent les royaumes Francs. Après le traité de
Verdun, la Francie Occidentale revient à Charles le Chauve qui se révèle
incapable de défendre son territoire : les incursions vikings atteignent leur
paroxysme. Il faut attendre 852 pour avoir une réelle réaction qui se traduit
par la construction de fortifications sur les bords de Seine. Elles reprennent
cependant vers 888 -890 et aboutissent à leur installation. Les Vikings
développent alors leurs activités traditionnelles : la pêche, le commerce
maritime et la piraterie.
Rollon, chef d’origine danoise, profite de nouveau de la faiblesse du pouvoir
en place pour prendre Nantes, Angers, le Mans. Il s’oppose alors à Charles le
Simple qui se voit obligé de négocier avec lui lors du traité de Saint
Clair-sur-Epte en 911: il lui cède les territoires allant de l’Epte (2) jusqu’à
la Mer ainsi que des territoires à piller comme la Flandre et la Bretagne (3).
En échange, Rollon se convertit à la foi chrétienne. Ses successeurs, Guillaume
longue Epée et Richard Ier achèvent la construction de la principauté en
prenant le titre de Duc et en en s’intégrant au monde Franc.
Guillaume, du Bâtard au Conquérant
Guillaume est le fils de Robert le Magnifique et d’Arlette. Cette dernière
n’est pas la femme de Robert : quelques décennies auparavant, elle aurait pu
être une frilla , sorte de seconde épouse, mais à l’époque, l’Eglise tente
d’instaurer le mariage comme sacrement. Aussi, Guillaume est-il considéré comme
un bâtard même si son père le présente et le prépare comme son héritier.
Malheureusement, il le devient effectivement à l’âge de 8 ans. La période de sa
minorité est une période de troubles et de rébellions : les mottes castrales fleurissent
sans autorisation ducale et sa vie même est menacée lorsque des nobles veulent
le «férir». Guillaume finit par mater la rébellion à la bataille de
Val-ès-Dunes. Il fait alors preuve d’un sens politique étonnant : il rétablit
l’ordre lors d’un concile de Paix à Caen où tous ses anciens ennemis jurent de
respecter la trêve de Dieu pour limiter les guerres privées sous peine
d’excommunication. Il renforce alors son pouvoir en épousant Mathilde de
Flandre, fille d’Adèle de France, crée le pôle urbain de Caen. Son pouvoir
devient tel qu’il menace celui de son seigneur, le roi de France qui tente
plusieurs fois, sans succès d’envahir la Normandie.
Mais la grande aventure de Guillaume, celle qui lui donne ce surnom de
Conquérant, est celle de l’Angleterre (4). Elle lui permet de montrer toute la
mesure de son génie politique et stratégique. Edouard le Confesseur, roi
d’Angleterre de 1042 à 1066, meurt sans enfant : il désigne son cousin,
Guillaume, comme héritier. Mais Harold, fils du comte de Wessex, se fait
couronner. Après avoir réuni sa flotte, Guillaume attend le moment propice pour
débarquer : Harold doit libérer une partie de son armée car l’attente est trop
longue. La bataille finale se déroule à Hastings le 14 octobre 1066. Après sa
victoire, Guillaume va devoir faire face à de multiples rébellions. Les
Normands étaient en effet perçus comme des envahisseurs. Il doit également
faire face à une autre difficulté : celle de gérer deux territoires séparés par
la mer. Afin de mieux connaître l’Etat de son royaume, Guillaume va ordonner la
rédaction d’un document étonnant et unique pour l’époque : le Domesday book qui fait l’état des feux.
Guillaume va ainsi régner 21 ans sur l’Angleterre et le duché de Normandie. Il
concurrence ainsi le pouvoir de Philippe le Ier dont il est à la fois l’égal et
le vassal.
Les frères Hauteville en Sicile
Le XIe siècle n’est pas seulement le grand siècle du Conquérant mais aussi
celui des Normands de Sicile. Pendant que certains se lançaient à la conquête
de l’Angleterre, d’autres, d’origines plus modestes tentaient leur chance dans
en Italie méridionale. Ils appartenaient à la petite aristocratie : tous les
fils de ces familles ne pouvaient s’établir car la plupart des terres
revenaient aux aînés. Les cadets ne pouvaient donc que partir chercher fortune
ailleurs. Une fois de plus ils ont profité de circonstances favorables pour
créer le royaume de Sicile. L’Italie du Sud se trouve sur le chemin des
pèlerinages menant en Terre Sainte et c’est en 999 que des pèlerins normands se
sont illustrés lors du siège de Salerne par les Sarrasins.
Excellents
combattants, capables de construire rapidement des mottes castrales, les
Normands font rapidement engagés comme mercenaires par les puissances présentes
dans la région. Une famille se détache, celle des Hauteville probablement
originaire du diocèse de Coutances. Robert Guiscard et surtout son frère, le
futur Roger Ier, ont réussi à conquérir un royaume par l’épée. Au départ, les
deux frères sont les codétenteurs du pouvoir mais Robert se désintéresse de la
Sicile et de l’Italie du Sud au profit d’une conquête, celle de l’Empire
byzantin, qui échouera. Roger Ier se trouve partie prenante du conflit des
Investitures qui oppose l’Empereur et le Pape. A la mort de Roger Ier, son successeur,
Roger II, est le véritable fondateur d’un Etat normand de Sicile. Excellent
militaire, il réussit à unifier les possessions normandes d’Italie méridionale
et à créer un Etat organisé tirant profit des différentes influences déjà
présentes. C’est ainsi que se trouvent mêlées des influences byzantines,
musulmanes et normandes.
Les Successeurs
Ces deux grands Etats normands ne résistent pourtant pas à l’épreuve du temps.
Les successeurs de Guillaume et de Roger II se heurtent aux difficultés de leur
temps, ces crises de successions entraînant souvent des guerres civiles. En
Normandie d’abord. Henri Ier Beauclerc, benjamin de Guillaume, monte sur le
trône après la mort de ces deux frères qui s’étaient disputés le pouvoir. Le
naufrage de la Blanche Nef en 1120 entraîne non seulement la mort d’une partie
de la jeunesse aristocratique normande mais aussi celle du fils d’Henri
Beauclerc. Sa fille Mathilde reste la seule héritière à la mort de son père.
Mais Etienne de Blois, petit-fils du Conquérant, se porte aussi candidat au
trône et obtient gain de cause. Après son conflit avec Geoffroy Plantagenêt, comte
d’Anjou, il adopte le fils de ce dernier : une nouvelle dynastie prend le
pouvoir en Angleterre, celle des Plantagenêt. L’Etat anglo-normand s’achève
avec le règne de Jean Sans Terre, vaincu par le roi Philippe Auguste. A la même
époque, ou presque, le royaume de Sicile disparaît.
Guillaume II, petit-fils de Roger II, disparaît en laissant comme seule
héritière Constance au prince allemand Henri. De leur union naît
Frédéric-Roger, le futur Frédéric II. Homme cultivé, il porte à son apogée le
conflit du sacerdoce et de l’Empire. A sa mort, ses descendants ne peuvent
résister à ce conflit et c’est Charles d’Anjou qui prend le pouvoir : c’est la
fin de la dynastie normande en Sicile.
N’est pas Normand qui veut
Les écrits des universitaires ne sont pas toujours abordables, souvent
laborieux. Mais ici, l’écriture est fluide et le lecteur se laisse emporter par
les fascinantes aventures des Normands que ce soit en Angleterre ou en Italie.
François Neveux amorce une réponse à la question posée dans le prélude : quel
est le point commun entre un Viking, Guillaume et Roger de Sicile ? Tous
étaient d’abord des aventuriers, d’excellents combattants et de fins
politiciens et stratèges. Ils ont réussi à tirer profit des opportunités qui se
présentaient à eux pour fonder des Etats forts, très bien administrés. Mais la
réussite normande réside dans le métissage entre la culture normande et locale.
Bien que ces Etats aient disparu, la marque normande est restée et montre,
chauvinisme oblige, que n’est pas normand qui veut.
Julie Lecanu, normande et fière de l’être.
(1) Eric le Rouge, banni d’Islande, découvre une terre nouvelle à qui il donne
le nom de « pays vert » ou Groenland.
(2) Pays de Bray : elle marque traditionnellement la limite entre la Haute
Normandie, la Picardie et l’île de France.
(3) Qui correspond en réalité à la futur Basse-Normandie.
(4) Que l’on connaît entre autre par La tapisserie de Bayeux ou Tapisserie de
la reine Mathilde. Elle aurait été commandée par Odon de Bayeux, demi-frère du
Conquérant. Bien que favorable à Guillaume, elle a une grande valeur
documentaire sur les vêtements, les châteaux, les navires. Elle est classée au
registre de Mémoire du monde de l’UNESCO depuis 2007.
François Neveux, L'Aventure des Normands, Perrin, « Tempus », février 2009, 385 pages, 10 €
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