L'abdication, 21-23 juin 1815, quelques jours avec Napoléon par Jean-Paul Bertaud

Pour la plupart de nos contemporains, la fin de Napoléon  survient dans les reliefs mous d’une improbable Belgique, à Waterloo, un 18 juin 1815. Certes, mais c’est un dimanche, et après ? Jean-Paul Bertaud, professeur émérite des universités, arpenteur minutieux de la Révolution et de l’Empire à travers une vingtaine d’ouvrages, nous entraîne sur le terrain de l’après…


Le retour fragile de Napoléon

Pour faire de l’après,  il faut faire de l’avant. Bertaud se glisse en coulisse des Cent-Jours. Napoléon revient, certes, en mars 1815, mais au-delà du romantisme de la situation d’un empereur offrant sa poitrine au tir du premier venu, il y a les concessions démocratiques faites par le gros frère de Louis XVI. Le Corse doit à son tour assouplir le régime « d’avant ». Il n’a pas le temps de reprendre en main une administration nettoyée par les royalistes alors que dans le même moment l’insurrection renaît en Vendée, les Chevaliers de la Foi (société secrète royaliste) vérolent ses efforts et les armées  étrangères affluent aux frontières. Bertaud nous donne une image de la France divisée par ses opinions politiques, fruit de vingt ans de troubles denses. Le patriotisme et la « trouille » ne paraissent rassembler les esprits que dans les départements du nord et de l’est, les plus exposés aux invasions des Russes et des Prussiens (déjà) cruels.

Le deuil

Le dimanche de Waterloo, 18 juin 1815… Après un lundi de flottement bien compréhensible, Napoléon, revient à Paris et s’installe à l’Elysée et non aux Tuileries (est-ce prémonitoire ?). Il ne parvient pas à prendre un parti. Il se retranche derrière le sort d’une France qu’il a tant confondu avec lui-même et semble passer par les phases du deuil que décrivent les psychologues. Son frère Lucien est là. Ce même frère qui a été l’élément essentiel de son arrivée au pouvoir en 1799 et qui survient pour le lui conserver. On voit aussi Carnot, n’en déplaise à Guitry, ou Davout. Ils n’ont de cesse de ranimer la flamme d’un empereur interdit, tout de tergiversations. Tantôt on se paye de mots et de chiffres, de Grouchy qui garde son corps intact (après avoir mangé des fraises au lieu d’accourir au canon, les a-t-il sucrées ?), des 800 000 hommes que l’on peut trouver ( !), de l’appel à la patrie en danger comme sous la Convention… Tantôt on prend la mesure du pays qui se délite, d’une armée en capilotade qui en vient même à surprendre les vétérans de la retraite de Russie, de l’extrême dispersion des opinions et du danger représenté par l’armement possible de la « populace ».

Le serpent

Le serpent Fouché, à la tête aussi froide que son sang, grenouille (on reste presque entre reptiles). Il parvient à phagocyter l’empereur et à circonvenir les parlementaires naïfs ou soucieux de leurs avantages. Le peuple parisien semble demeurer fidèle à l’Aigle ventripotent.  Napoléon abdique en faveur de son fils. Il a quatre ans, il est en Autriche, cela ne prête pas à conséquence. Les Bonapartistes ont, en la circonstance, plus de cœur que de tête. Napoléon croit pouvoir partir en Amérique. Les cordons de la bourse se resserrent autour du cou de son projet, le serpent sait y faire. Il sera à la merci de l’Angleterre. La solution du retour de Louis XVIII s’impose malgré les aigreurs suscitées par la première Restauration, l’opinion du pays s’est retournée comme une crêpe, de toute façon, depuis mars. On songe aux acclamations des mêmes gens, pour Pétain, puis pour De Gaulle, à deux mois d’intervalle. C’est la paix, au moins. Fouché ne s’y brûlera pas les ailes, il n’en a pas, ce sera pire. Pour une fois on verra un reptile rater sa mue…

À lire pour méditer en ces temps crépusculaires.

Didier Paineau
 

Jean-Paul Bertaud, L'Abdication 21-23 juin 1815, Flammarion, "au fil de l'histoire", notes, index, illustrations, octobre 2011, 352 pages, 22 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.