L'Aiglon, l'incontournable biographie d'André Castelot

André Castelot est un grand vulgarisateur de l’Histoire, se définissant comme journaliste et écrivain. Né en 1911, il a enchanté des millions de lecteurs avec sa grosse soixantaine de livres et des millions de téléspectateurs avec des émissions de qualité comme la Tribune de l’Histoire… Il est décédé, couvert d’honneurs (Légion d’Honneur…) en 2004.

L’Aiglon, réédité chez Perrin, tient une place un peu à part dans son œuvre. Castelot a pu mettre au service de sa langue fluide et élégante, des documents étonnants : la correspondance de Marie-Louise, mère de l’Aiglon, et seconde épouse de Napoléon, restée soigneusement rangée dans un grenier jusqu’en 1955.

Un ventre politique qui devient…

Le prince de Ligne a qualifié de « génisse », la malheureuse princesse autrichienne jetée dans le lit de Napoléon par les entrailles politiques de son « papa » et la politique hypocrite nécessaire du ministre de ce dernier, Metternich. Le mardi 13 mars 1810, il fait froid, il pleut, Marie-Louise quitte Vienne. Il fait froid, il pleut, cette façon de donner corps à l’Histoire me rappelle Bernard Guénée à la Sorbonne qui nous enchantait avec Eustache Deschamps à la « fac »…

Elle arrive en France, en pleurant, se souvenant sans doute du triste sort de Marie-Antoinette. Napoléon veut un ventre, il l’a et se met en quatre pour rassurer et séduire la petite princesse. C’est un succès. Le couple est heureux. Elle se gave de pâtisseries et jouit du luxe et des attentions dont Napoléon la cerne. 

…Un bonheur éphémère

Le 20 mars 1811, le roi de Rome naît. Napoléon est aveuglé, il se croit Philippe et son fils Alexandre. Il prend l’empereur d’Autriche pour son meilleur parent. Quel aveuglement ! La belle famille n’est jamais la sienne, aussi chaleureuse soit-elle. Vous mourez du jour au lendemain pour elle. Ce n’est que dans son exil qu’il s’en rendra compte. Comment ne serait-il pas trop ébloui par la France des 130 départements et les débauches d’enthousiasme et de flatteries dont son fils est l’objet ? Napoléon aime « bourgeoisement » sa femme.

Le premier jouet du petit Napoléon est le plumet du grenadier Coignet (fameux pour ses mémoires). L’impératrice s’intéresse peu au nourrisson qui s’attachera beaucoup à Madame de Montesquiou, « maman Quiou », sa gouvernante.

1812, Napoléon part en Russie, laissant un fils qui a du mal à dire « papa ». Marie-Louise musarde, va voir son père et éblouit tout le monde par sa Maison pléthorique (150 valets quand son père en a deux). Retour à Paris, l’obscur général Malet tente un coup d’état qui, s’il échoue, révèle que l’impératrice et le tendre héritier comptent politiquement pour rien, parasites onéreux de l’Histoire de France. 1813, la campagne d’Allemagne enchaîne à l’enfer celle de 1814, en France.

 Le mercredi 25 janvier 1814, Napoléon entre dans la chambre de son fils endormi, il fait nuit encore et c’est la dernière fois qu’il le voit… Avez-vous songé aux dernières fois ? Je rêve un instant aux miennes…

Napoléon II ou trois jours…

L’Aiglon est un enfant capricieux mais adulé, il adore son  père et ne rêve que choses militaires. Les événements se bousculent, les alliés prennent la France puisqu’ils ont compris, enfin,  que l’addition des médiocrités peut vaincre le génie. Napoléon abdique en faveur de son fils, à Fontainebleau en 1814, mais l’acharnement de l’Autriche, couplée à la fraîcheur des sentiments des sujets envers leur monarchie nouvelle, voire à la trahison pure et simple comme celle de Marmont, aboutit à ce que le petit roi de Rome perde son trône (Louis XVIII lui a volé ses joujoux, dira-t-il) en quelques jours voire quelques semaines. Marie-Louise, éperdue veut rejoindre son mari. Le premier ministre autrichien Metternich trouve un étalon à Marie-Louise, le général Neipperg, qui lui fait oublier les intérêts de son fils et toute envie de rejoindre l’empereur sur l’île d’Elbe. De quoi alimenter des générations de « machos » ?

La trahison de Marie-Louise

Le retour de Napoléon de l’île d’Elbe, en mars 1815, fait franchir le Rubicon à l’ex-impératrice : elle se jette dans les bras de son père. En quelques mois, en fait dés avril 1814, elle a rejeté l’homme qu’elle prétendait adorer. Napoléon l’appelle en vain. Après Waterloo, c’est un homme usé qui reveint à Paris, il n’a plus l’énertgie de faire un coup d’état. Alors que la foule crie « vive l’empereur » devant ses fenêtres, les Fouché, La Fayette et autres, intriguent. Napoléon abdique en faveur de son fils,  de son fils sur l’insistance de Carnot et de Lucien son frère. Lui ne croit plus en rien. Il se savait perdu bien avant la bataille et n’espérait alors que cette solution. Les députés acceptent Napoléon II par refus des Bourbons, uniquement. Marie-Louise est folle de joie à la nouvelle de Waterloo. Par les intrigues de Fouché, de Talleyrand… Le trône échappe au petit prisonnier de son grand-père et revient à Louis XVIII, dés juillet.

Décidément, une génisse…

Marie-Louise jouit des revenus de son duché de Parme et ne demande qu’un régiment autrichien pour son fils ! Elle l’abandonne aux mains d’un chambellan, Dietrichstein, gai comme un pot de chambre ! Elle ne le verra plus pendant vingt-sept mois ! Alors que le petit prince manifeste une sensibilité rare : il pleure à la vue d’une alouette mangeant un vers ! Une longue œuvre de « défrancisation » commence, à laquelle le petit Napoléon oppose toute la résistance que lui permet sa curiosité et son obstination. C’est poignant.

L’empereur autrichien finit par accorder à son petit-fils le titre de duc de Reichstadt avec un territoire à la clef, en Bohême. Les Bourbons soupirent, mais enfin, c’est loin de l’Italie et de la France (1818). Le petit Napoléon est devenu Franz et a désappris le Français, c’est à peine s’il l’écrit. Sa gentillesse et son esprit enchantent la cour de Vienne. Sa mère le voit de loin en loin, il en souffre. 1821, Napoléon expire, il pleure et sa mère refuse le cœur embaumé que Napoléon veut lui donner en lui proclamant une dernière fois son amour. Elle, elle pond les rejetons de Neipperg, cela la distrait de visiter son fils, cela ferait désordre…

Un prince français !

En 1826, le duc de Reichstadt se métamorphose, le prince français, que son père lui avait demandé par testament de ne jamais oublier, renaît. Dietrichstein, par un mouvement inattendu, se prend à penser à un éventuel Napoléon II ! Et  voici qu’il le remet sur les rails de la culture française.  Habilement, il s’instruit de la conduite de sa mère et son amour pour elle lui masque l’inexorabilité de son jugement. « Personne n’a compris mon père » dira-t-il. Il a des partisans en France qui entretienne son mythe, surtout après 1821 ; durant la révolution de 1830, désorganisés, ils laissent passer l’occasion, d’autant plus que l’empereur d’Autriche n’a pas l’intention de leur mettre le pied à l’étrier. Le général Belliard – vieux et fidèle Grognard- est reçu fraîchement à Vienne, rien ne doit troubler l’ordre da la Sainte Alliance, élaboré à Vienne en 1815 au congrès des vainqueurs de Napoléon ? Assez d’aventures ! Pourtant, à Paris, dans les boutiques, pour un portrait de Louis-Philippe, on en trouve vingt de Napoléon ou de son fils… Le duc de Reichstadt ronge son frein, maudissant sa mauvaise santé… Metternich le déteste de plus en plus, à mesure qu’il s’affirme, mais en bon politique il laisse le jeu ouvert face aux démarches d’un autre ancien de l’Empire, le général Montholon. On apaise la fougue du prince en lui donnant un régiment, pitoyable palliatif…

La mort du prince

Mais l’état de santé du prince s’aggrave et les bains « de tripes » (sic) n’y font rien. Le prince français dit lui-même qu’il n’est qu’un « grand embarras » ; « ma naissance et ma mort, voilà toute mon histoire » ajoute-t-il encore. Il part de la poitrine, le samedi 21 juillet 1832  en étouffant sa grive apprivoisée venue se loger dans sa main d’agonisant. L’empereur d’Autriche est horrifié dans son amour, et soulagé dans sa politique, sort des puissants qui se damnent ? Castelot doute plus que fortement de la rumeur d’assassinat de Napoléon II  par Metternich, on est enclin à le suivre, l’époque étant plus civilisée que la nôtre ?

Il faut attendre l’horrible défaite de 1940 pour que le corps du fils rejoigne celui du père. Selon le poète allemand Henri Heine, combien le petit peuple pleura la mort du prince ! Et cette mort semble avoir apporté sa pierre au retour de son cousin Napoléon III sur le trône de France.

Un livre à méditer, l’Histoire au « ras du sol » qui laisse à l’Honnête Homme le soin d’en faire la synthèse (reste heureux d’une époque libre), à rêver dans un courant à la fois politique et romantique, récurrent de notre culture.


Didier PAINEAU 

André Castelot, L'Aiglon, Perrin, novembre 2008 (1re édition 1961), 497 pages, 23 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.