Les Jedburghs : histoire secrète des Forces spéciales alliées en 1944

Un épisode peu connu de la Deuxième Guerre Mondiale, pour cause de secret d’Etat.



Passons sur l’aspect des secrets qui n’en sont pas, habituelle accroche publicitaire de la couverture… Cette manie de la société du spectacle qui finit par être ridicule dans l’édition comme dans l’Eglise.
   
Les archives sont aussi lentes à se délier que les langues, et, nous arrivons à être surpris par la énième histoire de la Deuxième Guerre Mondiale.
    
Ce nous découvrons libère un « cocorico » salutaire en ces temps de crise. 


Qui sont les Jedburghs ?

Will Irwin, Américain, colonel de son état, nous livre un récit sur les forces spéciales impliquées dans les opérations de libération de notre territoire. Les missions des Jedburghs (dont l’origine du nom est aussi incertaine que les arcanes du cerveau de Churchill) sont d’organiser et de développer les maquis français pour faciliter le débarquement.  Ils doivent entraîner les hommes, coordonner les maquis. Les technologies nouvelles rendent possibles les communications par ondes courtes sur des centaines de kilomètres, et le largage d’un matériel de plus en plus important. Les « Jeds » sont en équipes internationales de trois hommes. On compte toujours au moins un Français des Forces Françaises Libres et des Américains ou des Anglais, recrutés, entre autres exigences, sur leur pratique de la langue de Molière. Ils doivent avoir un sens aigu de l’initiative et être diplomates. Ils auront d’ailleurs souvent à empêcher les résistants de se battre entre eux, ou laisser faire parfois des vengeances qui paraissent bien horribles à des observateurs extérieurs. Ce ne sont pas des commandos de choc. Les trois cents Jeds, entraînés depuis 1942, seront l’unité la plus décorée de la guerre. Mais il aura fallu l’ouverture des archives quarante ans après la guerre pour avoir un aperçu de leurs exploits.

Un exemple : Bob Kehoe

À titre d’exemple, nous nous attachons au sergent américain Bob Kehoe, jeune technicien radio de 19 ans. Il est largué avec son équipe en Bretagne en juin 1944, en compagnie de commandos de choc britanniques, les SAS. Les 50000 soldats du Reich qui occupent la région sont composites. On compte des parachutistes d’élite, mêlés aux soldats russes de l’armée allemande, beaucoup plus douteux et d’une cruauté dont on se souvient encore. Un homme se tue à l’atterrissage. La zone de largage, au sud de Guingamp relève d’un camp scout ! Les Allemands sont à moins de huit kilomètres et il n’y aucune précaution particulière, trop de bruit et de lumière ! On assiste aux courses poursuite avec les Allemands, les nuits dans les fossés, les messages à Londres, les parachutages…
    
Une idée de Churchill

L’auteur revient sur la genèse des Jeds, dés 1942. Ils naissent d’une idée de Churchill soutenue par Roosevelt. Churchill veut s’appuyer sur le soulèvement des peuples contre les Nazis. Mal vus par les militaires conventionnels, ils relèvent des services secrets. On peut se douter que leur recrutement est délicat  et leur entraînement spécifique. Intelligents, débrouillards et sacrés « têtes de c… » ; ce sont des rebelles au service de la norme, en somme.

Un parfum de… Belphégor ?

L’aspect passionnant, non, frissonnant, du livre est qu’on suit la progression des aliiés dans la libération de la France, mais… À l’arrière des lignes allemandes ! Les Jeds et les troupes résistantes qu’ils ont formées joue un rôle majeur dans la libération de notre pays. J’avais pris le fameux propos flatteur d’Einsenhower, sur l’efficacité de la Résistance française en 1944, pour une courtoisie de bon aloi. Le livre du colonel Wise me fait découvrir qu’il n’est que l’expression de la réalité factuelle. Beaucoup d’autres officiers supérieurs alliés ont remercié les Résistants, et nombre de combattants du rang ont regretté de quitter notre territoire, perdant ainsi la sécurité des arrières, des côtés et les renseignements inestimables qui économisent tant de vies ! Des milliers de Résistants organisés et formés ont pu réduire des poches de résistance allemandes après avoir retenu ou ralenti les divisions qui auraient pu rejeter les Alliés à la mer (90 % des sabotages réussis, 70% du trafic SNCF en moins au 5 juin 1944 !). Même le bouillant Patton leur a confié la sécurité de ses flancs !

Après la Bretagne, les maquis de l’Yonne sont décrits puis l’Aisne, puis la fin… On entre en territoire allemand. Les Jeds français sont envoyés récupérer l’Indochine. Wise évoque brièvement les destins de beaucoup d’entre eux. Peu sont morts et beaucoup sont devenus « quelqu’un », chef de la CIA, sénateur… Leurs retrouvailles sont régulières encore de nos jours, pour les survivants.

Le système d’écriture « à l’américaine » de l’auteur livre un goût agréable de thriller mais le style du colonel est celui d’un… colonel ! Il a une langue sûre et claire dénuée de toute forme de fantaisie sentimentale.
Intéressant et flatteur pour un patriote.



Didier Paineau 

Will Irvin, Les Jedburghs, l'histoire secrète des Forces spéciales alliées en 1944, Perrin, octobre 2008, index, sources, tableau des missions, 434 pages, 23 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.