Les entretiens de Nuremberg, un psychiatre face aux criminels de guerre nazis
Confession du pécheur justifié
Les
éditions Flammarion ont choisi de nous présenter un livre intéressant
qui a fait l'objet d'une grosse production télévisuelle nord-américaine.
Il s'agit des carnets tenus par le psychiatre nommé par les autorités
américaines pour interroger les criminels nazis au procès de Nuremberg :
Göring, Dönitz (amiral et successeur de Hitler en mai 1945), Von
Ribbentrop (ministre des affaires étrangères), Keitel (maréchal)...
Quelques témoins ont également été interrogés comme les maréchaux Von
Manstein et Kesselring.
Des « psy » au chevet de criminels
L'idée
de juger les dirigeants du IIIe Reich n'a pas coulé de source. On a
longtemps balancé entre jugement et exécution rapide d'un certain nombre
d'entre eux. Finalement vers la fin de 1944, la décision a été prise et
le gouvernement de Etats-Unis n'a pas fait les choses à moitié. Ce sont
deux cents personnes qui ont été chargé de mener l'affaire auprès des
deux procureurs américains. Les équipes britannique, soviétique et
française étaient squelettiques en comparaison. Partant du principe que
les nazis étaient criminels, des psychiatres furent nommés pour les
étudier. Le commandant Douglas M. Kelley, le capitaine Gilbert et le
commandant Léon Goldensohn se succédèrent auprès des accusés. A part
deux livres écrits en 1947 par les deux premiers, rien n'avait filtré.
L'utilité de cet ouvrage est que Goldensohn a noté soigneusement, à
chaud, les réponses de « ses patients », ce que ses collègues n'ont pas
eu la rigueur de faire. De façon douce et peu intrusive, profitant du
désir de confidences d'hommes vaincus et isolés, il cherche à se rendre
compte de la nature du nazisme. Les entretiens se déroulent de janvier à
juillet 1946. Goldensohn a quitté l'armée en 1946, puis absorbé par sa
vie professionnelle, il n'a jamais eu le loisir de se replonger dans ses
notes, d'autant plus qu'il est mort brutalement en 1961, à cinquante
ans. C'est grâce à son frère que les notes furent rassemblées en ouvrage
en 1994. Le présent ouvrage est la traduction par Pierre-Emmanuel
Dauzat de l'édition originale de 2004 : The Nuremberg Interviews.
Radio langue de vipère...
Selon les caractères ou les disponibilités des accusés les entretiens sont plus ou moins longs et plus ou moins intéressants. Première surprise des Américains, les dirigeants nazis ont tous un quotient intellectuel supérieur à la moyenne, sauf un.
Radio langue de vipère fonctionne à plein régime dans le huis clos de la prison. Tout le monde accuse tout le monde d'être plus responsable que lui, d'être le dernier des abrutis ou le plus pervers des hommes. Quelques constantes se dégagent : Hitler conserve son aura, personne ne le critique vraiment, il est même parfois qualifié de « génie ». Le traité de Versailles est pour tous ces hommes l'origine de la Seconde Guerre Mondiale. Ils décrivent la misère et l'humiliation de l'Allemagne des années 1920, la déchéance que la république de Weimar représentait à leurs yeux et l'espoir d'un relèvement porté par Hitler.
Les juifs ? C'est qui ?
Et les Juifs ? C'est curieux on a du mal à trouver un méchant antisémite parmi eux. Certains ne peuvent nier avoir été antisémites, mais alors gentiment... Soit, on voulait les mettre à la porte « en slip », mais vraiment pas plus... La conférence de Wannsee ? La tentative d'extermination ? C'est pas moi ! J'ai rien vu, rien su... Quelques-uns esquissent la justification de l'obéissance aux ordres, le cloisonnement des fonctions dans l'Etat nazi. De toute façon il y a deux grands responsables qui eux savaient tout, ont tout vu, tout fait et qui... naturellement ne sont pas là pour dire le contraire : Himmler, suicidé, Goebbels, suicidé... On comprend qu'ils se soient suicidé ces deux-la car selon les accusés ils sont à l'origine de toutes les turpitudes, même Hitler ne savait pas vraiment ou a été perverti par ces (ses ?) âmes damnées. Évidemment les deux absents sont pratiques. Il se dégage de ces hommes une veulerie certaine. Le seul à essayer de conserver une certaine allure est Göring, l'ancien numéro deux du Reich. Il fait assez froid dans le dos quand il explique qu'il ne faut pas mal interpréter ses rires ou sourires au récit des atrocités commises... C'est sa façon naturelle de réagir à l'adversité explique t-il à Goldensohn.
Un document historique précieux
À part les grands traits, parfois choquants, de l'ouvrage que je viens de
vous rapporter, ce livre regorge évidemment d'informations historiques
intéressantes à divers titres. Attention, cependant, il s'adresse à un
lectorat féru d'histoire et déjà sérieusement déniaisé sur cet aspect de
l'histoire contemporaine. Quelques notes judicieuses de l'historien
américain Robert Gellately viennent éclairer le texte, et une fois n'est
pas coutume, on peut même déplorer qu'il n'y en ait pas assez pour nous
prémunir contre les mensonges éventuels des accusés. Toutefois le
lecteur particulièrement consciencieux peut partir en quête de
renseignements supplémentaires grâce aux références mises en bas de page
par le même Gellately.
Léon Goldensohn, Les entretiens de Nuremberg, présentation de Robert Gellately, traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat, Flammarion, février 2005, 550 pages, glossaire, index, 25 euros
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