"Mihailovic", héros de la résistance serbe trahi par les Alliés"

L’éternel martyr de la loyauté ?

La Résistance Française a occulté chez nous les autres mouvements qui ont surgi dans les vastes territoires occupés par les nazis durant la 2e Guerre Mondiale. Jean-Christophe Buisson a comblé un vide avec son ouvrage sur le Serbe Mihailovic (le c se prononce tch), résistant de la première heure, sacrifié à l’appétit des Grands dans la distribution de 1945.

Un officier droit et modeste

Draza Mihailovic est né en 1893. Il entre à l’Académie militaire de Belgrade et fait ses premières armes dans les guerres balkaniques qui opposent la Serbie, la Grèce, la Bulgarie et l’Empire Ottoman moribond en 1912-1913. En août 1914, la Grande Guerre éclate ; un Serbe fanatique, au service d’une organisation nationaliste, la Main Noire, tue l’héritier autrichien le 28 juin et par le jeu des alliances.... Belgrade tombe aux mains des empires centraux en octobre 1915. L’armée serbe entame une longue retraite à l’hiver 1915-16, en direction de l’Albanie où l’aide française sauve les survivants, 150 000, quand 250 000 personnes ont laissé leur vie sur les chemins. L’officier aux petites lunettes rondes collectionne les médailles pour sa bravoure. À 27 ans,  il sera l’officier le plus décoré de l’armée yougoslave. Le jeune serbe participe à l’offensive balkanique de Franchet d’Esperey en 1918 qui hâte la chute de la Bulgarie et de l’empire austro-hongrois.

Un royaume impossible ?

La victoire alliée concrétise le projet d’union des Slaves du sud. La Yougoslavie est gouvernée par le roi Alexandre. Le royaume est cependant bien disparate. En plus des Croates, des Slovènes et des Serbes, déjà différents les uns des autres, il y a 20 %  de la population qui est soit turque, soit roumaine ou encore allemande, albanaise, slovaque, tchèque, russe, ruthène, italienne..! Chacun a son propre sentiment national. Le royaume a deux ennemis mortels organisés, le parti paysan croate qui désire, au gré des atermoiements de son leader Radic, une Croatie indépendante, et le parti communiste  yougoslave. Un troisième s’y ajoute, Ante Pavelic, un avocat croate, fonde dans les années 1920 une organisation sur le modèle fasciste, l’Oustacha… Il rejette totalement le royaume yougoslave.

Sur les épaules du roi Alexandre…

Les tensions sont si vives entre les composantes yougoslaves, qu’un député en tue un autre en plein parlement… Le roi décide d’établir une dictature pour tenir le pays uni. Mihailovic est neutre, comme l’armée. Il se marie, fait trois enfants, appartient à la Garde Royale et monte en grade. Le roi Alexandre cultive l’amitié française, il appartient à la Petite Entente. En 1934, il est assassiné à Marseille par un homme de main de Pavelic. Le royaume est fragilisé, à la grande joie de Mussolini. L’héritier du trône est un enfant de onze ans, Pierre II ; On a recours à une régence. Dés lors la politique yougoslave sera beaucoup plus floue, essayant de ménager tout le monde.

Mihailovic contre ses chefs

Mihailovic est devenu attaché militaire en Bulgarie, en Tchécoslovaquie et a exercé différents commandements notamment en Slovénie où il s’inquiète de la fragilité de son pays en voyant de près la révolte des jeunes Yougoslaves d’origine allemande qui s’alignent sur Adolf Hitler. Draza, désormais colonel, s’inquiète de voir son pays aligner sa stratégie militaire sur celle de la France. Il trouve stupide la construction d’une espèce de ligne Maginot qu’on n’aura pas les moyens de tenir. Il prône en revanche une défense originale, fondée sur la préparation d’une guérilla, en groupes ethniques homogènes, à grande échelle en cas d’invasion : laisser passer là où ne peut rien faire d’autre, puis attaquer dans le dos. Hélas pour lui, Draza fait ses remarques par écrit. Ce qui offense les éléphants de l’Etat Major. Le ministre de la guerre, le général  Nedic est très  irrité.  Mihailovic perd son commandement pour devenir professeur puis inspecteur dans l’armée. Il en profite pour populariser ses thèses auprès de ses collègues. Cela lui sera utile. Il se fait à nouveau remarquer par des propos anti allemands. Le général Nedic l’expédie alors  dans une obscure garnison bosniaque… 

Les Serbes contre Hitler

Nous sommes en mars 1941 ; Hitler a besoin des coudées franches pour réaliser son grand but depuis toujours : attaquer à l’Est. Il oblige donc le régent Paul à signer le même pacte d’alliance qui lie tous les pays des Balkans, hormis la Grèce.  Les Serbes de l’armée désavouent cette signature. Un coup d’état chasse le régent et met en avant le jeune roi de dix-sept ans. Hitler réagit rapidement. Le 6 avril, Belgrade est bombardé. L’invasion suit. L’armée yougoslave est balayée d’autant plus vite que des régiments entiers de Croates changent de camp. L e pays est démembré, Hongrois, Bulgares et Italiens se servent tandis qu’une Croatie « indépendante » apparait sous l’autorité de Pavelic. Le 10 avril, Draza se fond dans la nature avec le reste de ses troupes en retraite et fédère nombre de groupes dans tout le pays. Il faut affronter l’Axe mais aussi les Oustachis croates et les musulmans. Le gouvernement fuit le pays et part en Angleterre; Draza met en place les premiers maquis de résistance d’Europe, escomptant l’appui anglais.

Vingt kilos d’yeux ou l’imbroglio yougoslave

A partir de juillet 1941, le PCY de Tito entre en résistance, puisque l’URSS est attaquée.  Les Croates exterminent les Serbes de Croatie dés l’été, avec l’appui du clergé local. Pavelic dit fièrement à Malaparte venu l’interviewer, que ce qu’il ya dans le panier sur son bureau, ce ne sont  pas des crustacés mais vingt kilos d’yeux de Serbes envoyés par ses chers Oustachis… Tito et Mihailovic se rencontrent et collaborent pour une brève période. Tito joue double jeu. Sa priorité n’est pas de lutter contre l’occupant mais d’étendre son influence dans le pays. Au début de 1942, Draza est encensé en Angleterre, homme de l’année selon Time magazine aux EU ; il retient 7 divisions allemandes avec ses 150 000 Tchetniks. A partir de novembre se rajoute un ennemi : Tito et ses partisans. De Gaulle manifeste son respect profond pour l’action des Tchetniks et de leur chef, nommé général puis ministre par son jeune roi.

In vino veritas ?

Le vent tourne secrètement en juin 1942 ; Aviné, comme d’habitude, peut être trop cette fois, Churchill abandonne la Yougoslavie à Staline. Subtilement, il délaisse Mihailovic pour soutenir Tito. Il commence une guerre de harcèlement auprès de Pierre II pour qu’il abandonne son fidèle. Dans un dénuement important « Tonton », comme le surnomment ses hommes, à cause de sa barbe, de sa pipe et de ses petites lunettes, plus militaire que politique, continue son combat. Il espère  que les Alliés se rendront compte de la situation, et encaisse les coups de boutoir des Allemands qui mettent sa tête à prix. Pendant ce temps, Tito louvoie, n’hésitant pas à négocier avec les Allemands quand cela est nécessaire, embobinant des Anglais en mission auprès de lui. D’ailleurs ces derniers ont été sélectionnés par les services secrets pour lui être favorables. Le ton change dans la presse alliée. Les actions des Tchetniks sont versées au crédit des partisans de Tito, ils sont d’abord présentés comme louches, puis peu soucieux de lutter contre l’Axe mais plutôt contre les autres Yougoslaves (ce que précisément fait Tito), enfin comme collaborateurs. L’injustice est criante et les aviateurs alliés abattus et secourus par Mihailovic, contraints de se taire. 

Mihailovic abandonné par les Alliés

En septembre 1944, Churchill obtient de Pierre II l’abandon officiel de Mihailovic, déjà trahi par sa fille et un de ses fils qui se rallient à Tito. Roosevelt l’oublie.  L’Armée rouge entre en Yougoslavie. Elle est aidée par les Tchetniks qui sont rapidement exécutés s’ils refusent de se rallier à Tito ! Les Oustachis changent de camp et rallient Tito à leur tour. Certains, après avoir ostensiblement collaboré avec l’Axe deviendront ministre dans le pouvoir communiste. Churchill livre 35000 Yougoslaves anticommunistes à Tito qui les fait exécuter. Mihailovic continue sa lutte, encore, moralement brisé par toutes les trahisons et la mort au combat de son seul fils fidèle. En octobre 1945, les troupes titistes lancent une grande offensive contre lui. Il est capturé en mars 1946, jugé pour haute trahison, on l’exécute en juillet. Churchill se rend compte trop tard qu’il a été berné par Tito, puisque l’accord entre lui et Staline prévoyait une influence « fifty-fifty ». Avec le même cynisme, Staline abandonne ses partisans en Grèce.

De Gaulle et Mihailovic

J.C. Buisson fait le parallèle entre De Gaulle et Mihailovic. Tous deux ont eu un conflit avec leur supérieur, devenu par la suite collaborateur, Pétain pour l’un, Nedic pour l’autre. Tous deux ont eu des idées novatrices et continué sans faiblir le combat. Cependant De Gaulle a quitté le territoire et il était plus politique que militaire, Draza non. Le parallèle a donc de sérieuses limites. Le drame du Serbe explique peut-être en partie la rigidité et la susceptibilté que le Français a manifesté à l’égard des Alliés. Par ailleurs, De Gaulle n’a pas hésité à faire le ménage dans son camp, faisant passer parfois l’intérêt de sa faction avant celui de son pays. Draza aurait-il eu un autre destin s’il en avait agi ainsi ? De Gaulle ne pardonnera jamais à Tito l’exécution de « Tonton ». L’auteur se tient résolument du côté serbe, comme l’objet de son étude. Cette Yougoslavie reposait sur les épaules du roi assassiné en 1934. La suite était plus ou moins fatale… Ce livre paru chez Perrin il y douze ans vient à point pour éclairer un aspect de l’Histoire assez délaissé en langue française. Le talent de journaliste de l’auteur compense largement quelques négligences de méthode.

Didier Paineau 

Jean-Christophe Buisson, Mihailovic (1893-1946), Perrin, "Tempus", février 2011, 349 pages, chronologie, cartes, bibliographie, 9 euros

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