"Louis-Philippe", le dernier des rois

Ancie
n élève de l’ENA, normalien, ancien collaborateur de Philippe Séguin, Arnaud Teyssier a publié depuis quinze ans une série d’ouvrages (sur la Ve République, le Ier Empire, la IIIe République d’une part, des biographies de Lyautey et Péguy d’autre part) traversé par une idée maîtresse : comment concilier en France l’exercice de la démocratie, idée de la révolution de 1789 et conquête du XIXe siècle avec un autre exercice, celui de l’autorité, manifestation d’un État fort et respecté, héritage de Louis XIV et surtout de Napoléon ? Ce choix d’écrire une biographie du roi des français semble donc curieux de prime abord. Louis-Philippe est ainsi resté dans la mémoire collective comme un roi sans charisme, aimé surtout des bourgeois, dont l’image comme le régime de Juillet ont pâti de la formule prêté à Guizot — « enrichissez-vous ! ». Caricaturé par Daumier, il est devenu le parangon d’un conservatisme aveugle, insensible à la misère ouvrière, imperméable à la réforme électorale — sans parler du suffrage universel. Roi citoyen d’un régime faible, s’il en fut, puisque la monarchie de Juillet s’effondra en deux jours, sous les coups d’une émeute. « Fils d’Égalité, montez en fiacre ! », fermez le ban.

Un sujet de débat historiographique

L’historiographie a pourtant eu tendance à réhabiliter la période 1815-1848, longtemps incomprise, coincée entre les gloires — et les désastres — du Ier Empire et les fastes du 2nd avant que d’une défaite —1870, la pire de notre histoire — n’installe définitivement la république. Ce sont d’abord des historiens de sensibilité plutôt libérale, dans la lignée de FrançoisFuret, qui ont eu tendance à réévaluer la période, en soulignant l’apprentissage du parlementarisme, l’apport de la charte dans le fonctionnement institutionnel. Déjà affleurent des questions qui hanteront la France contemporaine : quel équilibre entre l’exécutif et le législatif ? Pourquoi le bicamérisme ? Quel contrôle sur le budget ? etc… Pierre Rosanvallon, dans son ouvrage sur Guizot paru en 1986, a réhabilité le courant des doctrinaires. Il s’agissait d’intellectuels libéraux, dont Guizot fut le représentant le plus éminent, refusant la souveraineté du peuple et y opposant la théorie des capacités (liés au mérite, à l’éducation et à la fortune),désireux enfin d’acclimater les règles du parlementarisme en France. Ils crurent en 1830, que l’heure du 1688 français avait sonné, que le remplacement des bourbons par les Orléans (comme celui des Stuarts en Angleterre) mènerait le pays sur le chemin de l’équilibre… Chimère que Louis-Philippe, selon l’auteur, ne partageait pas.

Louis-Philippe a déjà été l’objet d’une biographie, celle de Guy Antonetti. Écrite sur un ton iconoclaste, n’épargnant en rien le monarque, elle était cependant riche en informations et en documentation. Le présent ouvrage en prend la suite mais propose une lecture beaucoup plus favorable du personnage. De plus, la démarche d’Arnaud Teyssier ne se situe pas dans le sillon de l’historiographie  « libérale » et cherche à répondre aux questions suivantes : quelle place à accorder à Louis-Philippe dans ce temps long de la Révolution (1770-1880,) dessiné par François Furet, qui mène à l’établissement d’un régime représentatif de forme républicaine (et non monarchique)  sous la IIIe République ? Quel héritage a-t-il pu laisser ? Et enfin qui fut réellement l’homme, public comme privé ?

Un héritier

Louis-Philippe fut d’abord l’héritier des Orléans, branche cadettede la maison des Bourbons issue de Philippe, frère de Louis XIV. Arnaud Teyssier rappelle bien que les Orléans ont été systématiquement bridés par la branche dite « Ainée » et tenue à l’écart du pouvoir : Louis XIV hésita à accorder la régence à son neveu Philippe d’Orléans et chercha à en limiter la portée dans son testament, finalement cassé par le parlement de Paris. Après la mort du Régent, les Orléans, plus grands propriétaires du royaume et princes du sang, entrèrent dans une retraite boudeuse sans échapper aux soupçons. Jusqu’à Philippe dit « Égalité » dont une partie de l’historiographie révolutionnaire a présenté comme le chef d’un complot qui mena à la Révolution. Parler du père, comme le fait l’auteur dans des pages très justes, aide à comprendre le fils. Accusé de couardise après le combat d’Ouessant (1778) en pleine guerre contre l’Angleterre, le futur « Égalité » n’a pourtant pas été un grand politique. Séducteur maisfaible, brillant mais superficiel, père attentif mais libertin insouciant, Philippe d’Orléans a surtout eu le tort d’écouter des conseillers qui, eux, se sont servis de sa fortune et de son nom, en son nom et en dépassant souvent ses propres ambitions. Malgré les conseils du fils, plus clairvoyant que le père, devenu Philippe Égalité vota la mort de Louis XVI, ce qui ne l’empêcha d’être exécuté. Louis-Philippe, c’est une des thèses d’Arnaud Teyssier, a toujours eu la volonté de réparer la faute de ce père tant admiré, et, s’est efforcé par un comportement public qu’il voulait irréprochable, de ne jamais faire quoi que ce soit qui puisse renforcer lathèse du « complot des Orléans ».

Héritier des lumière enfin par son éducation, ce qui l’amène à participer aux débuts de la Révolution. Il a siégé aux jacobins, a combattu à Valmy et à Jemmapes. Contrairement au futur Charles X et aux tenants de l’ « émigrerie », le futur roi avait été partie prenante de ces évènements et se posa ensuite comme un « national », partisan des trois couleurs qu’il fit rétablir. Ce qui pesa en sa faveur dans certains milieux en 1830.

caricature de Louis-Philippe par Charles Philippon









Un exilé

Louis-Philippe finit cependant par quitter l’armée -et la France- avec Dumouriez au moment où montagnards et girondins commencent à s’entredéchirer. Commence alors une longue errance, marquée par l’exécution du père. Louis-Philippe réside un moment en Suisse ou il fait fonction de précepteur, avant de retrouver son frère, Beaujolais. Là, il prend le bateau pour l’Amérique — Talleyrand aussi fit le voyage au moment de la terreur, avant de revenir au moment du Directoire-, qu’il visite  avec une grande curiosité. Puis il repart en Europe s’établir en Angleterre, après s’être réconcilié avec les Bourbons. Guy Antonetti insistait beaucoup dans on ouvrage sur les offres de service que Louis-Philippe fit pour lutter contre la France de Napoléon en Espagne et en Sicile : Arnaud Teyssier minimise et replace ce projet surtout dans le cadre de ses relations avec Louis XVIII et de toute façon bloquée par l’Angleterre. Une vie agitée donc jusqu’à la Restauration, son mariage avec Marie Amélie, fille du roi de Naples (autre Bourbon) qui lui donne une position devant les cours européennes

Un prétendant ?

La chute de Napoléon ramène l’Orléans en France où Louis XVIII lui rend une partie de son héritage. Son nom circule déjà, à la fois dans les milieux politiques et chez les Alliés qui, en cas d’échec de Louis XVIII, pourraient envisager de le placer sur le trône. Selon son biographe, Louis-Philippe est un observateur lucide des ambigüités de la restauration et de cette Charte « octroyée » qui instaure une monarchie constitutionnelle avec un roi jaloux de ses prérogatives, pénétrée des valeurs d’Ancien Régime, et une aristocratie avide derevanche et de reconnaissance. En 1815, Louis-Philippe se tient à distance des évènements pour éviter  toute accusation de complot émanant des ultras. Il se consacre à sa famille et à l’éducation de ses enfants, s’occupe de ses domaines. Il fait entendre cependant sa différence en envoyant ses fils au lycée, fréquenté alors surtout par les fils de la bourgeoisie parisienne. Il ne prend pas la pose du prétendant et se garde d’être un opposant. Il personnifie de plus en plus une alternative, grâce à la politique maladroite de Charles X. Par contre, ce que l’auteur ne dit pas, c’est à quel point dans les mois précédant les trois glorieuses de 1830 les intrigues se font autour de son nom et Thiers et Talleyrand en sont.

Le roi

Quand il arrive au pouvoir, la situation est explosive. Arnaud Teyssier montre bien comment ce personnage obstiné tisse sa toile, écarte La Fayette et ses partisans après avoir réformé la Charte. Appeler Talleyrand à l’ambassade de Londres lui permet d’obtenir le soutien britannique. Les succès sont là : indépendance de la Belgique contre les Pays-Bas, démantèlement du réseau de forteresses bordant la frontière Nord depuis les cent jours. S’il n’intervient pas pour soutenir la Pologne en révolte, c’est parce qu’il veut éviter une guerre généralisée, à l’issue incertaine et porteuse de troubles potentiellement révolutionnaires. Car la situation intérieure est explosive : révolte des canuts de Lyon, émeutes à Paris, complots républicains, tentatives d’assassinat, hostilité et bouderie d’une partie des élites légitimistes énamourés de Charles X et du comte de Chambord. Durant la première décennie du règne, le roi bâtit un « système », se comporte en fin manœuvrier : il donne le pouvoir à Lafitte, tenant du mouvement afin de liquider l’hypothèque comme on disait sous la quatrième, puis à Casimir Périer qui rétablit l’ordre. Après la mort de celui-ci, le roi cherche à gouverner avec l’assemblée, loyalement mais scrupuleux quant à sa prérogative. Thiers disait avoir voulu enfermer le roi dans la charte : en fait,  Louis-Philippe incarne la charte.

Après qu’un second gouvernement Thiers ait failli mener à la guerre en Europe, le roi trouve avec Guizot le partenaire nécessaire. Conserver le système en l’état pour le transmettre à son fils Ferdinand, telle était l’ambition du père. Ce fils fut formé pour être Roi, il en avait l’intelligence, les capacités, le charisme. Pour Arnaud Teyssier, sa mort accidentelle sonne à terme le glas car elle signifie qu’il y aura régence, vu le jeune âge du comte de Paris, confiée au fils cadet, Nemours : beaucoup doutent des capacités politiques à un moment où le régime devient de plus en plus conservateur.

L'Histoire n’aura pas le temps de juger : Février 1848 renvoie le roi et sa famille en exil. On est frappés à quel point les fils de Louis-Philippe, Aumale et Joinville, en Algérie avec l’armée, n’ont rien tenté pour contester le verdict de la rue : marque du légalisme dans l’éducation donnée par leur père, toujours soucieux que sa famille n’apparaisse pas comme fauteuse de troubles. Toujours le souvenir d’Égalité…

Quel bilan ?

Conquête de l’Algérie (qui, à l'époque, apparaît comme une ambition légitime), création du musée national de Versailles, Belgique Neutre, industrialisation du pays, réforme de la justice, loi Guizot sur l’instruction publique sont souvent inscrits au bilan du dernier Roi des Français. C’est somme toute déjà beaucoup.

Pourtant, au terme de cette vie racontée et étudiée avec minutie et brio par l’auteur, on peut se demander qui était réellement Louis-Philippe. On a affaire à un personnage éprouvé par la vie, intelligent, courageux, fils de l’ancien régime (et descendant quatre fois de Louis XIV), généreux parfois retors. Féru d’histoire, hanté par le passé, il semblait animé d’une ambition : réparer la France, la guérir de ses blessures causées par la Révolution et l’Empire. Ainsi on comprend mieux qu’il ait fait de Versailles un musée dédiée à l’histoire de France avec tous ses héros, recueillant l’héritage des rois et la gloire des héros de la Révolution et de l’Empire. Également, le rapatriement des cendres de Napoléon en 1840 s’inscrit dans ce projet de réconciliation. Arnaud Teyssier souligne, en utilisant Bainville, que Louis-Philippe eut raison sur beaucoup de choses — l’Europe, les nationalités… — et que, contrairement aux tenants de l’historiographie libérale, son but était de refaire une « psychologie de l’autorité ». Alors pourquoi ?

Pourquoi un tel échec du parlementarisme à l’anglaise en France ? L’auteur remarque que le débat posé par l’historiographie libérale est biaisé : le roi conserve la centralisation napoléonienne et son administration dont le fonctionnement est de plus en plus efficace. Il  rappelle aussi l’esprit du temps, cite les ouvrages de Roederer : on souhaite une monarchie mariant autorité et libértés, avec une nette prééminence de l’exécutif. Louis-Philippe n’est donc pas le souverain « libéral », « qui règne mais ne gouverne pas » et se montre soucieux de ses prérogatives. De surcroît, il est possible que l’instabilité des ministères (déjà !) pendant la décennie 1830 ait contribué à installer une image négative du parlementarisme, en suscitant nombre de quolibets et de sarcasmes d’une presse très libre (malgré les limites posées suite aux troubles de 1832). L’antiparlementarisme est-il né pendant la monarchie de Juillet ? En tout cas, le respect littéral de la charte, le refus de la réforme électorale et les manœuvres de certains politiques en Février (les banquets) ont mené à la chute du Roi.

Arnaud Teyssier pose aussi une question qui pose d’être débattue : « La liberté en France est-elle condamnée à ne produire […] que du despotisme ? » car on passe de 1830 à 1848, puis au coup d’état de 1851… il faut relier ceci à un problème de légitimité, mis à mal depuis la Révolution et qui renvoie à une autre question : Louis-Philippe pouvait-il réussir à fonder une monarchie dont la légitimité historique avait été tellement mise à mal par la décapitation de Louis XVI ? Cette exécution dépouilla de la charge symbolique et affective et finalement de sa légitimité, une institution inséparable de son aura sacramentelle… Et Louis-Philippe échoua à reconstruire une nouvelle légitimité.

Un ouvrage en tout cas stimulant, percutant, riche qu’il est recommandé de lire et de méditer. Terminons en soulignant — provocation ? — que le dernier Roi avait quelques points communs avec le dernier Empereur. Louis-Napoléon et Louis-Philippe étaient tous deux des aventuriers, des exilés (polyglottes et connaissant très bien l’Europe), des héritiers. Ils restent tous deux, sur le temps long, des « passeurs », des agents et des témoins de la naissance et de l’enracinement de la liberté et de l’égalité, issus de la Révolution et vecteurs de la Démocratie, si difficiles finalement à concilier avec la nécessité de l’autorité… Un débat loin d’être clos.

Sylvain Bonnet

Arnaud Teyssier, Louis-Philippe, Perrin, septembre 2010, 450 pages, 23 €

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1 commentaire

Merci pour cette présentation très riche du théme abordé par Mr Teyssier. Elle donne vraiment envie de s atteler au plus vite à la découverte du livre. Connaissant une partie du travail de l auteur je ne me fais aucun doute sur la' qualité de l ouvrage!