Jacques Benoist-Méchin sublime "Cléopâtre", dernière reine d’Egypte

Un homme entre compromis et compromission ?

Bourgeois au fait des milieux culturels de son époque, correspondant intime de Proust, Jacques Benoist-Méchin (1901-1983), devient journaliste et pacifiste au côté de Briand dans les années 1920. Ce souci, hérité du traumatisme de la Grande Guerre, le conduira à la Collaboration. Il admire Hitler, devient haut fonctionnaire à Vichy. Cela le conduira à l’arrestation en 1944. Il est condamné à mort en 1947 ; sa peine est commuée en prison à vie et il finit par être libéré en 1954.
    
Auteur d’une histoire de l’armée allemande à succès en 1936, que De Gaulle fera réimprimer pour servir à l’édification des officiers français en 1944, malgré l’auteur, il se lance dans l’écriture de l’Histoire, après en avoir quitté le strapontin, dés sa libération. Il se consacre à la Turquie et  la dynastie d’Arabie Saoudite puis se lance dans la série du « rêve le plus long de l’Histoire » entre 1961 et 1976, racontant les vies de Lawrence, Cléopâtre, Lyautey, Bonaparte (en Egypte), Alexandre le Grand, Frédéric de Hohenstaufen et l’empereur Julien. Le fil conducteur de l’œuvre est le rêve d’une fusion ou d’une communion entre l’orient et l’occident, et non comme on peut le lire sur une célèbre encyclopédie en ligne, un ensemble d’hommes et une femme qui ont changé le cours de l’Histoire… Au contraire, chacun des personnages évoqués s’est brisé l’échine sur la réalité, comme Nemrod, à une autre époque… Le titre de la série prend tout son sens.

Plus écrivain qu’Historien

N’attendons donc pas de notre auteur un esprit de bénédictin qui fouille les entrailles des archives mais plutôt un compilateur de talent. Benoist-Méchin utilise les Historiens de son temps comme le fameux égyptologue anglais Arthur Weigall (1880-1934) et reprend sous sa plume tous les effets romanesques (sic) et moralisants des Historiens antiques comme le Grec Plutarque (v.46-v.125). C’est le même auteur qui a servi de fil conducteur au fameux film fleuve de Joseph Mankiewicz, en 1963, avec Elisabeth Taylor et Richard Burton… La qualité de plume de Benoist-Méchin est remarquable et nous avons devant nous un livre à la croisée de la littérature poétique et de l’Histoire.

Cléopâtre, dernière reine d’Egypte

Alexandre le Grand, roi de Macédoine, réussit en une quinzaine d’années à conquérir l’immense empire perse, au Ive siècle av. J.C. Sa mort, sans autre héritier qu’un frère idiot et un fils à naître,  provoque la formation et le déchirement, entre eux, des royaumes hellénistiques. L’Egypte échoit à l’un de ses généraux, Ptolémée, fils de Lagos. La dynastie des Lagides est la dernière dynastie de l’Egypte indépendante. La dernière des souveraines de cette dynastie est Cléopâtre VII, l’objet de l’ouvrage. Les sources étant romaines, elle nous reste bien mystérieuse, car on ne parle d’elle que si sa route croise celle de la République romaine. Elle a aussi bien mauvaise réputation, dans la mesure ou elle aurait subjugué, tour à tour César et Antoine…

Le rêve d’Alexandre ?

La dynastie Lagide est bien mal en point sous le règne de son père : perte de territoires, révoltes. Il ne doit qu’au gouverneur romain de la Syrie de se maintenir sur son trône. A sa mort, frère et sœur,  Ptolémée XIII et Cléopâtre, ne cessent de se disputer la succession. C’est alors que César, à la poursuite de Pompée, intervient en Egypte. Il prend partie pour Cléopâtre. On attribue au charme extraordinaire de cette dernière le renoncement de César à l’annexion de l’Egypte. S’il est évident qu’elle est sa maîtresse, on voit mal César, qui a même utilisé son anus pour servir ses ambitions politiques, succomber à ce point. 

Benoist-Méchin se prend à rêver de l’ambition commune que César et Cléopâtre auraient eue de refaire l’empire d’Alexandre, avec à sa tête, le fils qu’ils auraient eu ensemble, Césarion. Les auteurs antiques sont partagés sur la question de la paternité véritable, mais il est clair que César a fait de son neveu Octave, futur Auguste, son héritier, pas Césarion.
En -44, César est assassiné. Cléopâtre se range du côté des Césariens contre les républicains qui sont vite écrasés. Le parti de César est vainqueur et l’Egypte entre dans la zone d’influence de l’ancien lieutenant de César, Antoine. On a partagé les conquêtes romaines entre Antoine, Octave et l’éphémère Lépide, autre partisan de César. La mode de l’époque est au triumvirat. On cherche à éviter la guerre civile en partageant le territoire en trois, sans jamais obtenir la paix souhaitée !

 Antoine et Cléopâtre se fascinent mutuellement, sans que l’un ou l’autre ait l’ascendant. Cléopâtre devient la maîtresse d’Antoine et lui donne des jumeaux. Son influence sur lui (elle obtient au moins la garantie de l’indépendance de l’Egypte) est montée en épingle par Octave qui cherche le conflit avec Antoine après avoir neutralisé l’insipide Lépide. Antoine est attachant, éloquent, pochetron, courageux mais n’a pas les qualités d’un chef d’état. Passif, vain et  maladroit, mauvais instrument des ambitions d’une femme cultivée et intelligente qui dépend de lui, finalement... ?  La guerre civile éclate à nouveau. Antoine est vaincu en -31 à Actium par les forces d’Octave qui marchent ensuite sur l’Egypte. 

Benoist-Méchin cède totalement à la beauté romanesque de Plutarque : suicide d’Antoine, une épée dans la poitrine, transporté mourant auprès de sa belle qui se déchire de douleur et finit par se suicider à son tour, mordue par un serpent. Octave arrive, ambigu, satisfait et fâché à la fois de ne pouvoir conduire Cléopâtre à son triomphe. En tout cas, Césarion est prestement étranglé et l’Egypte devient une province romaine.

On ne peut que saluer l’entreprise de « Tempus », la collection de poche de Perrin, de populariser un texte de cette qualité.



Didier Paineau


Jacques Benoist-Méchin, Cléopâtre, Perrin, « Tempus », juin 2010, illustrations, cartes, index, 429 pages, 10 € 

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