"Napoléon et la Guerre d'Espagne", une remarquable synthèse sur un aspect de l'épopée de Napoléon mal connu des Français

Une remarquable synthèse sur un aspect de l'épopée de Napoléon mal connu des Français

On décape l'image qu’on a de la péninsule ibérique

On se fiche souvent des auteurs consciencieux et sérieux… On a tort dans ce maudit temps maudit où le sarcasme rapide fait office d’intelligence et de culture… La culture véritable prend son temps, mais « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et vous emmerde autant que vos atermoiements », juste histoire de sacrifier à la vulgarité du présent (merci Alphonse et merci Nicolas !) et juste histoire juste (c relou) de rendre hommage à un ouvrage aussi clair et net que l’esprit français, tel qu’il devrait demeurer.

Après avoir épanché ma bile de pigiste fauché, je vais pouvoir passer à l’essentiel ; ravi d’avoir dégoûté les fameux qui n’ont « pas le temps », qui veulent « tout contre rien ». Allez, l’initiation, même livrée par un relatif indigent, se mérite, le vocabulaire transcendé par l’absinthe !

Vous savez, camarade, qu’on ne connaît rien à l’Espagne du XVIIIe siècle, que l’image de l’Espagne du « frangin à Napoléon » n’est pas meilleure.

Bref, imaginez une connaissance géographique approximative, des théories de mules, de moutons et de pèlerins dans un pays relativement vide saigné par l’émigration sud-américaine et vous aurez l’Espagne de la fin du siècle des Lumières. Pensez au passage à la désespérance du roi Charles III à réformer tout cela, ça vous fait un petit détour chez Shakespeare. Jetez à la poubelle de vos idées reçues la toute puissance et surtout la « toute cohérence » de l’Inquisition, la certitude de l’imprégnation profonde du Christianisme dans la péninsule ibérique, comprenez que les bondieuseries mâtinées de paganisme antédiluvien peuvent paumer le Bon Dieu lui-même (c’est un truisme depuis au moins Delumeau et la logique, mais là j’ai un peu honte de le dire !), gardez en mémoire la relation « sado-maso » des élites étiques avec la philosophie des Lumières, et on pourra entrer dans le vif du sujet…

Il faut aussi parler du Portugal, pays sous influence anglaise depuis 1703 ; on dit « influence » pour imiter la tendance toute britannique à masquer par la pudeur du vocabulaire, la violence fade de son impérialisme.    

L’Espagne alliée de la France

Dans un premier temps, l’Espagne est l’alliée de la France. Tout comme le Portugal, elle a un besoin vital d’être reliée à ses colonies. L’alliance est donc pesante, ce qui explique les manœuvres équivoques de son Premier Ministre Godoy, véritable gourou d’un roi incompétent. Pour le Portugal c’est pire encore, choisir Napoléon est impossible. Le Brésil lui est indispensable. Après Trafalgar, Napoléon entreprend contre l’Angleterre un blocus qui est une véritable gageure (peut-être pire que celle Tonton Adolf avec son Mur de l’Atlantique). Il doit donc s’intéresser à la péninsule ibérique. Il accumule les handicaps : la plate courtisanerie qui déforme tout, une famille royale espagnole faible et disputeuse, l’absence de véritable cartographie, l’envoi de Junot aux capacités aléatoires et la volonté de tout vouloir contrôler … Le Portugal est conquis sans peine mais quinze mille personnes dont la famille royale se réfugient au Brésil sous la couverture de la flotte britannique. C’est le vide politique, Junot n’est pas prêt et n’a pas les moyens de combler ce vide. Dés le début de 1808, Junot ne contrôle que Lisbonne. Une armée anglaise le contraindra bientôt à évacuer le pays…

Le roi fantoche

La famille royale espagnole se déchire. L’héritier Ferdinand renverse son père, largement soutenu par une partie du peuple qui supporte de plus en plus mal un allié français qui se comporte en occupant, Godoy laissant faire. A Bayonne Napoléon attire toute la famille et décide de s’en débarrasser. Il nomme son frère Joseph roi, au grand dam de son beau frère Murat qui a le temps de mater la révolte des Madrilènes immortalisée par Goya (2 et 3 mai 1808) avant de se faire une bonne dépression.

La révolte contre la France

 La révolte éclate dans tout le pays et les Français sans véritable commandement y répondent par le pillage, le massacre et le viol…

Entre novembre 1808 et janvier 1809, Napoléon mène campagne pour mettre de l’ordre. Il bouscule les Espagnols et les Anglais sans difficulté pour s’ouvrir la route de Madrid. Joseph, largement contraint, le suit pour prendre la peau d’un ours que son frère a juste étourdi ! Jean-Joël Brégeon décrit le fameux siège de Saragosse, véritable mythe de l’histoire espagnole. Le jeune Palafox, intime de Ferdinand, conduit la résistance. Le siège se déroule en plusieurs épisodes avec son lot de moines fanatiques et de femmes héroïques… C’est à Lannes qu’incombe la tâche de prendre la ville à partir de janvier 1809. Il y parvient, rue par rue, maison par maison…

L’ouvrage est complet mais trop court, eh oui, encore au sacrifice au temps présent :

« Qui trop embrasse mal étreint »! Quelque part les fanas de la sabretache du énième régiment du bataillon bidule, qui toisent l’historien moyen : « comment vous ne connaissez pas ça ? » Avec une délicieuse vanité sadique au fond des yeux, bon sang, ces gars-la ont du bon !

Joséphins et Fernandins

Il brosse le portrait des « Joséphins », le maigre bataillon, flatteur ou infidèle, de ceux qui font mine de croire que Joseph est vraiment roi d’Espagne ( ce qu’il ne croit pas lui-même, trop « éclairé » pour être actif selon Napoléon lui-même, incapable et c’est évident de s’imposer ). Il fait le pendant avec la bande des « Fernandins », les partisans du roi légitime qui est d’autant plus auréolé de gloire qu’il est en exil…La distance, paradoxe apparent, masque la petitesse… Vaste bataillon de cocus qui auront de quoi se repentir en 1814, quand Ferdinand montera vraiment sur son trône. Les Fernandins, trente-six rêves, l’auberge espagnole, qui englobe à la fois les Cortes fabriquant une constitution libérale en 1810 à Cadix, une illusion (mais qui aura de grandes répercussions au XIXe siècle), que des partisans se comportant comme des monarques absolus dans les maquis qu’ils contrôlent, l’éphémère junte centrale qui est censée articuler les multiples juntes locales agissant au nom du roi…Un chapitre est consacré aux Francs Maçons et à leurs liens équivoques qui dépassent les deux camps.

Guérilla et contre Guérilla

La guerre d’Espagne est connue avant tout pour la guérilla. C’est une vieille tradition espagnole que les bandes battant la campagne. La guérilla est donc multiforme et composite. On y trouve de tout, des bandits, des déserteurs et la différence entre le brigandage et la lutte patriotique est le plus souvent difficile à distinguer. Cela va du rassemblement de quelques dizaines d’hommes à la réunion de véritables armées comme celle du Navarrais Mina qui atteint dix mille hommes. Les Français répondent au phénomène par la formation de colonnes mobiles, ils ont eu l’expérience de la guerre de Vendée. Les succès sont là mais cela détourne environ un tiers des troupes. Le comportement de satrapes des maréchaux de Napoléon aggrave la situation. Ils pillent sans vergogne ( Louis XVIII restituera plus de deux cents œuvres d’art majeures à l’Espagne !) et se moquent du roi Joseph. La seule exception notable à cette corruption est celle de Suchet à Valence.

La descente aux enfers
 
A partir de 1810, c’est la lente descente aux enfers. La seconde invasion du Portugal se termine mal à cause de la mésentente de Masséna et de Ney. L’Anglais Wellington marche sur Madrid puis s’y installe en 1812. Joseph se fait battre à plate couture le 21 juin 1813 à Vitoria. C’est la fuite éperdue d’une foule alourdie par ses rapines ! Napoléon se désintéresse de ce secteur de l’Europe. Il a même proposé la paix aux Anglais mais elle a échoué à cause de la demande de Napoléon de maintenir Joseph sur le trône. Il le rappelle dés 1813, rend son trône à Ferdinand mais ne peut pas arrêter la lente et sûre invasion de la France par les Anglais qui monteront jusqu’à Toulouse.

Au final Napoléon a bien regretté cette affaire d’Espagne. Sa logique clanique lui a fait faire un mauvais choix de roi. Il a indirectement permis à l’armée anglaise de s’aguerrir…

 
Didier Paineau


Jean-Noël Brégeon, Napoléon et la Guerre d'Espagne, Perrin, janvier 2006, "Pour l’Histoire", index, cahier central de photos, très bonnes annexes, 356 pages, 22 € 

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